Coups de coeur : Du libraire chevelu

Aie conffffiance… ssss…

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Bon, cela fait combien de temps qu’on se connaît maintenant ? Cinq ans ? Six ans ? Presque douze pour certains si on cumule… Vous pouvez me faire confiance en tant que libraire, non ? Si je vous dis qu’un album est excellent, extraordinaire, touchant, toute incrédulité est à présent balayée et vous pouvez le prendre les yeux fermés. Non ?Je n’ai plus besoin de vous en vanter les mérites ou de mettre en avant ses qualités. On a dépassé les doutes, la méfiance, non ?

 
Alors, je dirai juste : faîtes moi confiance « C’est un oiseau » du scénariste Steven Seagle et du dessinateur Teddy Kristiansen (ah le Manoir aux Secrets ! ah Grendel ! ah Sandman !) aux éditions Urban est un excellent album. Je l’ai dit en 2010, je l’avais dit en 2004 et je le redis en 2016. Ouvrez-le, lisez-le.

cest-un-oiseau2Bon, c’est des coups à faire baisser ma côte de confiance si ça ne vous plaît pas mais j’assume !

super

 

 

 

 

album-cover-large-27654Ah et puis dans un autre registre, jetez un coup d’oeil à « Chroniques de Nulle part » de Starsky, Rica et Tocco aux éditions Aaarg ! C’est également du lourd ! On en reparle à la librairie.

 

Espions, droïdes et vie virtuelle

diabolik2Ceux qui ont eu la chance de voir l’exposition consacrée à « Souvenirs de l’Empire de l’Atome » au festival des Utopiales se souviennent de l’impact visuel de cet album hors normes. Thierry Smolderen concoctait un scénario intrigant rendant un vibrant hommage à la SF de l’Age d’or superbement mis en scène par Alexandre Clérisse. Cette fois-ci dans « L’Été Diabolik » (éd.Dargaud), ce sont les romans d’espionnage qui sont mis à l’honneur. En pleine Guerre Froide, chacun peut être un communiste infiltré cherchant à nuire aux intérêts de la France et du monde libre. En cet été 1967, Alexandre profite des joies adolescentes de ses 15 ans, mais sa victoire apparemment anodine lors d’un match de tennis va avoir un effet domino inattendu, un été qu’il n’oubliera jamais.

diabolik1Dans une habile intrigue, solide et haletante, le scénariste de « Ghost Money » se joue de tous les poncifs du genre (espions mystérieux, agents doubles, assassinat de Kennedy, disparitions et courses poursuites) pour les faire apparaître avec un nouvel éclat, une fraîcheur jusque-là oubliée. Il est aidé en cela par la maestria graphique d’A.Clérisse qui en quelques couleurs saturées, en quelques formes géométriques plaquées nous fait remonter le temps.

Si vous ne l’avez pas encore compris, jetez-vous sur ce récit complet qui tient toutes ses promesses !

varievie1J’ai failli passer à côté ! Vraiment, cela aurait été dommage ! Vous savez comment c’est : on reçoit plus d’une soixantaine d’ouvrages par semaine. On s’impose alors des priorités de lecture entre ceux que l’on a envie de lire (parce qu’on sait que c’est bien, parce qu’on est curieux…) et ceux que l’on doit lire (parce qu’on va nous poser des questions, parce qu’il est hors normes, parce qu’il est attendu…). Et puis il y a tous les autres. Et souvent de vagues de nouveautés en vague de nouveautés, ces albums sont poussés vers le fond du magasin, jusqu’à l’oubli… et le retour à l’éditeur. « La Vraie Vie » de Thomas Cadène et Grégory Mardon (éd.Futuropolis) a failli connaître ce sort. Pourtant, la vie de Jean Libonnet, employé municipal, tout ce qu’il y a de plus banal dans une petite ville tout aussi classique, devient un récit précieux parce que même s’il est singulier, il est universel. Et l’apport de technologie n’y change rien. En effet, le personnage, d’abord célibataire, cherche des rapports humains à travers l’ensemble des outils mis à disposition par internet : chat, twitter, forums, facebook et j’en passe. Même si cette activité est chronophage, même s’il ne rencontre jamais les personnes avec lesquels il chatte, même si la superficialité des propos est parfois prégnante, il ne tente pas de mêler sa vie « IRL » à sa vie numérique, il s’épanouit avec les deux.

varievie2Thomas Cadène, déjà scénariste sur « Les Autres Gens » avec quelques punchlines bien placées – « T‘as grandi dans un bar, t’es bien placée pour savoir que l’humanité n’a pas attendu internet pour commenter de la merde. » brosse un portrait moderne, efficace. Grégory Mardon avec une narration et des images à la fois très explicites (ne lisez pas cet album dans le bus, vous allez avoir des regards de travers) et en même temps tout en sous-entendus renforce le propos. Touchant jsuqu’à la fin, je me suis fait happée par cette histoire que je vous recommande.

descender1Enfin, la méga grosse cerise sur le gâteau, le titre qui réjouit les cœurs : « Descender » (Jeff Lemire & Dustin Nguyen, éd.Urban) nous met une grosse claque ! Dans un futur où l’humanité et d’autres races extraterrestres forment une coalition interplanétaire, des robots géants (vraiment colossaux : de la taille d’une planète) attaquent et déciment des populations entières. On les appelle les Moissonneurs. Dix ans plus tard, chacun essaye de se remettre de ce grand cataclysme, mais dans les mentalités du plus grand nombre, les robots sont devenus l’ennemi et les robocides sont légions. Le Dr.Quon, éminent roboticien tombé dans la pauvreté, est appelé par les forces gouvernementales car après de nombreuses études, il s’avère que le programme informatique des Moissonneurs est similaire à celui d’une gamme de droïdes qu’il avait jadis conçue. Et le dernier modèle encore répertorié vient de donner signe de vie sur une lointaine planète minière…

descender2Lorgnant vers les grands maîtres du genre – I.Asimov, B.Aldiss, P.K.Dick… – Jeff Lemire s’affranchit de leur héritage pour installer ce complexe récit technophile dans un space opera dynamité. Les rebondissements sont multiples, l’action maîtrisée, les personnages charismatiques. Quant aux dessins aquarellés du dessinateur de « Little Gotham », il s’adapte parfaitement à cet univers foisonnant. Du lourd, du très très lourd (et à 10€ jusqu’au mois de juin !).

Sélection Angoulême 2016 [3/4]

Nous n’allons pas épiloguer chaque année sur les choix du jury du festival d’Angoulême, tout le monde en parle régulièrement. Il suffit juste de dire que cette année encore la sélection est très pointue. De qualité mais pointue, difficile à mettre entre les mains de votre mamie du Périgord qui lit une bd par an. Bref, le débat n’est pas là.

Dans cet article et ceux qui vont suivre, je vais revenir sur certains ouvrages de cette sélection et plus particulièrement ceux que j’ai lus, afin que vous puissiez avoir un premier avis pour vous forger votre propre opinion.

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Concernant la jeunesse, la sélection a de quoi aussi satisfaire les lecteurs les plus exigeants. Et je ne suis pas loin du 100 % de lecture !

alcibiade 1alcibiade 2La maison d’édition Joie de Lire propose des ouvrages qui laissent une grande place à la recherche graphique et narrative, explorant des manières de raconter spécialement adaptées aux plus jeunes. Là où un adulte pourrait être rebuté par ces exercices de style, l’enfant pourra y puiser une bonne dose d’imaginaire. Dans Alcibiade (Rémi Farnos / éd.La Joie de Lire), l’auteur sur une matrice de 4 cases sur 5 qui ne variera pas tout au long de l’album nous offre un étrange voyage. Qui n’est pas sans rappeler Trois Chemins (Trondheim & Garcia / Delcourt) la mythologie en plus.

 

 

 

dad 1dad 2Présents dans notre sélection de Noël, les deux tomes de Dad (Nob / éd.Dupuis) renouent avec grâce, émotion et sensibilité avec les grands classiques d’humour pour la jeunesse. Acteur sans contrat, « Dad » s’occupe seul de ses quatre filles qu’il a eu de quatre mères différentes. Un peu maladroit, un peu dépassé mais extrêmement aimant, il fera tout pour être le meilleur père du monde (ou du quartier) pour ses quatre trésors aux caractères trempés bien que différents. L’auteur de Mamette brosse avec modernité et tendresse une cellule familiale finalement pas si atypique dans des gags à la planche plutôt bien sentis. Incontournable.

 

 

 

jardin1JardinMinuit-p001-100+Endpapers_150316.inddAdaptation d’un très célèbre roman pour la jeunesse outre-manche, Le Jardin de Minuit (Edith / éd.Soleil) plonge le lecteur entre rêverie et évocation de l’enfance. Alors qu’il doit résider chez son oncle et sa tante à la campagne en attendant la guérison de son frère, Tom va découvrir un mystérieux jardin qui ne devrait pas être là. Lorsque minuit sonne à la pendule du couloir, Tom va rejoindre une énigmatique jeune fille qui ne semble pas être de son temps. D’ailleurs, ce dernier s’écoule-t-il de la même manière dans le monde de Tom et celui de la jeune fille ? Leur lien sera-t-il suffisamment solide ? Tout en douceur, Edith nous évoque une Angleterre et une enfance intemporelle.

 

 

 

silent 1silent 2LA découverte de l’année ! A Silent Voice (Yoshitoki Oima / éd.Ki-Oon) s’attaque frontalement à des thématiques lourdes et sensibles sans se départir d’un humour efficace et d’une narration fluide. Shoya, jeune garçon turbulent, a pris pour cible Shoko, jeune fille sourde de sa classe de primaire et la harcèle sans cesse. Meneur de ces brimades, il est suivi activement ou tacitement par d’autres élèves, à tel point que, après un énième bris de ses appareils auditifs, Shoko quitte l’école. Toutefois, de meneur, Shoya devient lui aussi un paria… Arrivé en classe supérieure, les remords pèsent sur l’adolescent qui va essayer de retrouver son ancien souffre-douleur pour un ultime pardon. Mais en est-il suffisamment digne ? Les thèmes évoqués ici sont légions : le handicap, le harcèlement scolaire, le suicide, la quête de rédemption, les émois adolescents, l’ambiguïté des relations amicales et au-delà humaines … le tout avec une grande finesse et sans pathos dégoulinant. Le grand gagnant sans conteste.

 

tempetetempete.inddTempête au haras (Chriss Donner & Jeremie Moreau / éd.Rue de Sèvres) évoque le destin de Jean-Philippe, placé sous le signe du cheval. Issu d’une famille de jockeys et d’éleveurs de chevaux, il voit le jour en même temps qu’un poulain. Une grande complicité va s’établir entre le nouveau-né et le cheval. Tous voient en lui un futur grand champion. Malheureusement, une nuit de grande tempête, en tentant de l’aider, le cheval pris de panique lui brise la colonne vertébrale. Jean-Philippe ne pourra plus marcher ! Que va-t-il donc pouvoir faire ? J.Moreau déjà dessinateur du Singe de Hartlepool et de Max Winson (éd.Delcourt) confirme ici un talent indéniable.

 

 

ulysse 103-79-Ulysse_W_INT_30-06.inddUlysse Wincoop (Marion Festraëts & Benjamin Bachelier / éd.Gallimard) raconte le destin d’un jeune indien né en pleine tuerie de sa tribu par les soldats américains. Un déserteur, après avoir abattu sa mère, le récupère pour le donner à son frère et son épouse, stériles. Les deux colons blancs vont l’élever somme leur propre fils, mentant sur ses origines. Mais suite à un drame et au retour du soldat, ses racines vont remonter à la surface. Va s’en suivre un long parcours pour découvrir la vérité et embrasser la totalité de son héritage. Coup de cœur estival, j’attends la suite avec impatience !

 

 

 

victorvictor 2Pour son premier album en auteure complet, Marion Duclos invoque les esprits des grands maîtres pour Victor et Clint (éd.Boîte à Bulle). En premier lieu, évidemment Bill Watterson, car si aux yeux de tous Clint est un chien ordinaire pour Victor il est son compagnon de route pour le Far West le plus farouche, infesté de crotales et de desperados. Parfois, ils rencontrent un vieil homme dans la forêt qui pourrait leur dévoiler un grand secret… Rafraichissante, cette histoire n’est pas aussi légère que l’on pourrait le penser de prime abord…

 

 

 

 

violetteviolette 2Pour finir, Violette autour du monde (Teresa Radice & Stefano Turconi / éd.Dargaud) avait intégré également notre sélection de Noël. Joyeux et primesautiers, ces périples au début du 20ème siècle nous permettent de découvrir une famille de cirque soudée et haute en couleur mais également des contrées et des personnages historiques. En trois tomes, cette série a su s’imposer par la vivacité de son dessin et par l’intelligence de son scénario dans les séries jeunesse à suivre avec attention.

 

 

 

Penchons-nous du côté du patrimoine avec deux titres majeurs.

 

vatervater 2Père et fils – Vater und Sohn (Erich Ohser / éd.Warum) regroupe les différents strips humoristiques du dessinateur allemand Eric Ohser alias O.Plauen. Dans ceux-ci, on suit les frasques d’un père de famille respectable mais pas dénué de facéties et de son jeune fils tout aussi enclin aux bêtises. On pourrait s’en tenir là et on aurait des saynètes familiales sans prétention. Ce serait toutefois occulter tout le contexte de parution : la République de Weimar périclitant, le nazisme grandit et son idéologie s’impose partout. Bien qu’obligé de participer à la propagande par son dessin et ses œuvres, par petites touches, E.Ohser va faire acte de résistance dans ses strips à double lecture. Il sera déporté durant la guerre…

 

simonsimon2Enfin Simon du Fleuve (Claude Auclair / éd.Le Lombard) a fait l’objet de toute mon admiration dans l’article suivant. Je vous invite à vous y reporter.

 

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Sélection 2015 Angoulême [2/4]

Nous n’allons pas épiloguer chaque année sur les choix du jury du festival d’Angoulême, tout le monde en parle régulièrement. Il suffit juste de dire que cette année encore la sélection est très pointue. De qualité mais pointue, difficile à mettre entre les mains de votre mamie du Périgord qui lit une bd par an. Bref, le débat n’est pas là.

Dans cet article et ceux qui vont suivre, je vais revenir sur certains ouvrages de cette sélection et plus particulièrement ceux que j’ai lus, afin que vous puissiez avoir un premier avis pour vous forger votre propre opinion.

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_OUTCAST 01 - C1C4.indd001_093OUTCAST01cs6.inddLes bandeaux et autres autocollants « Par le créateur de… » ont tendance à m’agacer, même si je comprends leur utilité lorsqu’on n’a pas un bon libraire sous la main pour vous souligner les liens créatifs. Ils sont toutefois souvent un appât grossier pour capter un public sur une œuvre qui parfois n’a rien à voir… Bref, le « créateur » de The Walking Dead se penche sur l’exorcisme avec Outcast (Robert Kirkman & Paul Azaceta / éd.Delcourt). Avec une économie de moyen et une grande efficacité, ce scénariste adroit place son histoire entre les mains d’un duo de personnages aux caractères subtils. Il y a tout d’abord un prêtre à la foi vacillante, remise perpétuellement en cause par ses doutes sur l’efficacité de ses exorcismes. Puis un homme qui semble avoir été mêlé depuis sa tendre enfance à des manifestations du Malin et qui en porte les stigmates indélébiles. Celui qui croit en Dieu et celui qui n’y croit pas, comme dans le poème, vont faire équipe pour que chacun expulse ses démons… quitte à être engagé dans une croisade insurmontable ! Tout est dans la retenue, dans la montée progressive de la tension et des révélations. Le tome 2 récemment sorti confirme les qualités de cette série.

 

pacipaci2Juste à temps pour le tome 3 de Paci (Isabelle Merlet & Vincent Perriot / éd.Dargaud), sorti en janvier dernier, pour intégrer la sélection 2016 ! Ce thriller contemporain sur un homme, Pacifique, qui veut reprendre le contrôle de sa vie et laisser derrière lui les trafics de drogue et les « gofasts », se déploie sur trois tomes tout à la fois haletant et très calme. Vincent Perriot est un des rares auteurs à restituer à la perfection la sensation de vitesse aussi bien par la fluidité de son dessin que par la rigueur de sa narration. Ce récit où l’espoir se heurte à la médiocrité de la réalité touche par sa véracité, comme pour son précédent diptyque Belleville Story.

 

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Gérald vous avez préalablement parlé de la Renarde (Marine Blandin & Sébastien Chrisostome / éd.Casterman) et de la République du Catch ( Nicolas de Crécy / éd.Casterman) ici et . Je vous laisse vous y reporter. De même, Romain et Gérald n’avait été trop de deux pour vous faire partager leur enthousiasme sur les débuts de Saga (Brian K.Vaughan & Fiona Apple / éd.Urban), ici et également . Hé bien, ce quatrième opus mais aussi le cinquième sorti depuis sont du même bois. Iconoclaste, imprévisible, jouissive, inventive, les adjectifs manquent pour clairement cerner cette série qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Allez-y les yeux fermés !

saga

 

killofer1killoferKillofer, l’un des fondateurs de l’Association, est un auteur rare en bande dessinée car il explore les domaines les plus variés du grand Art. Par conséquent, lorsqu’un album – Tel qu’en lui-même enfin (Killofer / éd.L’Association) sort « presque » discrètement, il faut y être attentif par les pépites d’humour ou de recherches que l’on va y déceler. Je dis « presque » parce que son format va faire rager tous les symptomatiques des bibliothèques bien ordonnées ! Quant à son contenu, il fait sourire : l’auteur se met en scène sous son plus mauvais jour (ou le plus réaliste ?) créant un alter-ego de papier alcoolique, paresseux, lubrique et perpétuellement en retard. Mais toujours cinglant et lucide : tel qu’en lui-même en somme !

 

TU MOURRAS MOINS BETE 04 - C1C4.inddTMMB4_INTcs6_C.inddRemettant à l’honneur et sur le devant de la scène les ouvrages de vulgarisation scientifique, Marion Montaigne a réussi, via son alter ego le Professeur Moustache, a su s’imposer par son humour et sa quête de vérité scientifique. Répondant à de vraies-fausses interrogations dans Tu mourras moins bête (Marion Montaigne / éd.Delcourt), dans des domaines aussi variés que la médecine, la balistique ou les nouvelles technologies, chaque chapitre déborde d’inventivité pour nous faire comprendre tout ce que l’on ignore avec une dérision décapante. A noter que depuis le début de l’année, Arte diffuse des petites pastilles animées adaptées de Tu Mourras moins bêtes. Plus aucune excuse pour ne pas connaitre !

 

vivecouvvive6Je termine avec Vive la Mariée (Pascal Rabaté / éd.Futuropolis) qui va nous permettre de conclure avec le sourire. Pascal Rabaté s’est forgé une réputation méritée en lorgnant sur les petites gens, sur le lot commun du quotidien et ce qu’il comporte intrinsèquement de poésie et d’humour. Ici, il se joue en plus de la narration en appliquant une figure de style tout au long de l’album. Une narration en transmission de flambeau : le lecteur suit un personnage qui croise un autre personnage, qui devient le nouveau centre d’attention, jusqu’à ce que, à son tour, il croise une autre personne, qui deviendra alors le nouveau personnage à suivre, et ainsi de suite… Se dévoile ainsi sous nos yeux une journée de vacances à la plage, avec ses habitués, ses familles nombreuses, ses rencontres éphémères, ses indigènes,… L’esprit Jacques Tati est bien entendu invoqué au-dessus de cette histoire mais Rabaté a depuis longtemps su digérer et s’approprier le génie de son prédécesseur pour fabriquer son propre génie ! Pour en savoir plus, lisez l chronique de Gérald ici.

 

Bien sûr, on aurait pu vous parler des autres ouvrages mais je vous aurais menti : car je ne les ai pas lus ! Et puis, il vous faut aussi prendre des risques de temps en temps !

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Sélection 2015 Angoulême [1/4]

Nous n’allons pas épiloguer chaque année sur les choix du jury du festival d’Angoulême, tout le monde en parle régulièrement. Il suffit juste de dire que cette année encore la sélection est très pointue. De qualité mais pointue, difficile à mettre entre les mains de votre mamie du Périgord qui lit une bd par an. Bref, le débat n’est pas là.

Dans cet article et ceux qui vont suivre, je vais revenir sur certains ouvrages de cette sélection et plus particulièrement ceux que j’ai lus, afin que vous puissiez avoir un premier avis pour vous forger votre propre opinion.

arabe t2 2 arabe t2 1La rigueur de l’alphabet nous fait démarrer avec le rouleur-compresseur de ces derniers mois, L’Arabe du Futur T.2 (Riad Sattouf / Ed.Allary). Cette autobiographie focalisée sur l’enfance de l’auteur dans le Moyen Orient des années 80 mérite ce succès commercial, sans aucun doute. L’humour grinçant parfois vitriolé à l’égard de ses parents et de sa famille se mêle discrètement à une forme de tendresse à leur égard. Cet album suscite également, au-delà de l’évocation d’une tranche de vie, la réflexion et la curiosité sur une période de l’histoire pas si lointaine que cela, mais dont on connaît (on vit ?) l’issue. Nous savons, lecteurs contemporains, que les idéaux et les espoirs soi-disant portés par ces hommes providentiels de Lybie ou de Syrie se sont fracassés contre la dictature. Pourtant, des gens tels que le père de Riad y voyaient un réel progrès… Nous attendons donc avec impatience les deux autres tomes de cette tétralogie qui, n’en doutons pas, seront tout aussi saisissants !

_CARNET DE SANTÉ FOIREUSE - C1C4 OK AUTEUR.inddCDSF_INT_cs6.inddCette autre autobiographie, Carnet de santé foireuse (Pozla / éd.Delcourt), faisait partie de notre sélection de Noël, révélant ainsi notre intérêt pour cet album. Avec ou sans jeu de mots, l’auteur de « Monkey Bizzness » met ses tripes sur la table pour nous parler de la maladie qui l’accable : la maladie de Crohn. Une affection de longue durée, très grave, qui attaque entre autre le système digestif. Entre les approximations de diagnostic (c’est psychosomatique !), les douleurs au quotidien, l’annonce de l’affection et l’urgence de la prise en charge, Pozla nous éclaire par le menu toutes les étapes de son calvaire et de sa guérison. Sans fausse pudeur et avec un certain réalisme, il impose une distance salutaire par une bonne couche d’humour et d’autodérision ainsi que par un style graphique adapté (entre le carnet de croquis, la caricature et le graff). Témoignage d’une maladie autant que d’un malade, cet album mérite aussi qu’on s’y attarde pour ses qualités narratives et graphiques.

catharsis 1catharsis 2Si le titre précédent ne cachait pas son approche catharsistique, la bd de Luz, Catharsis (éd.Futuropolis) l’affirme haut et fort. Paru après le drame qui a endeuillé la rédaction de Charlie Hebdo et la France entière, cet album est un concentré d’émotions pures. Des dures, des violentes, des amères, des tendres, des hilarantes… Beaucoup de clients, à sa sortie, nous demandaient notre avis. Que dire, si ce n’est que cette BD était nécessaire, indispensable ? Pour l’auteur surtout, pour les lecteurs, pour les victimes indirectes des événements aussi. On est au-delà des qualités de l’album lui-même : il charrie tant d’émotions, tant de puissance qu’il se suffit à lui-même, il avait juste besoin d’exister. Et d’être lu. Dont acte.

cherpays

Je ne m’attarde pas sur Cher Pays de notre enfance (Benoît Colombat & Etienne Davodeau / éd.Futuropolis)  j’en ai déjà vanté les mérite dans cet article.

fille plagefille plage2La Fille de la plage T.1 (Inio Asano / éd.Imho) dérange, déstabilise, trouble. Ce manga nous montre crûment et sans filtre l’adolescence, avec ses façades qui cachent autant qu’elles montrent, ses personnalités ambiguës en devenir et la découverte incontournable de la sexualité. Les propos tenus par les deux jeunes gens, la relation qu’ils entretiennent, les liens qui se tissent entre eux, fascinent le lecteur : on ne sait pas quoi en penser, entre attrait du voyeurisme et rejet de cette approche frontale. Et que dire du « cliffhanger » des dernières pages ? L’auteur du déjà très étonnant Bonne Nuit PunPun ne se départit pas de sa démarche originale et osée.

iciici2J’apprécie tous les travaux qui touchent de près ou de loin à l’OUBAPO et toutes les BD sous contraintes. Je suis donc curieux et attentifs lorsque paraissent des albums estampillés d’un concept fort. Et là, Richard McGuire comble mes attentes avec Ici (éd.Gallimard) ! Imaginez sur plus de 200 pages une histoire racontée par un plan fixe de valeur et de cadrage constants. Un pied de caméra qui ne bougerait pas. Voilà déjà une première prouesse qui rapprocherait peu ou prou des contraintes du théâtre. Mais l’auteur ne s’en tient pas là et s’astreint à changer de dates à chaque page tout d’abord mais également à l’intérieur des pages via des cadres délimités au fur et à mesure ! On pourrait craindre une simple performance narrative sans réelle consistance. Il n’en est rien et se déroule sous nos yeux une véritable intrigue, une vie humaine. Toutefois attention, il s’agit d’un album exigeant, une expérience de lecture pour les explorateurs endurcis… ou tout simplement ouverts ! Tout ceci n’est pas sans rappeler 3’’ de MA.Mathieu où une enquête policière sur un meurtre devait être résolu…

 

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Letter 44 (Charles Soule &  Alberto Albuquerque / éd.Glénat) a été récemment chroniqué par mes soins sur cette page, je n’y reviendrai donc pas.

mismarmismar2Miss Marvel ( G.W.Wilson & Adrian Alphona / éd.Panini) propose une histoire de superhéros dans la plus pure tradition de Marvel : la fraîcheur de l’adolescence et l’ancrage dans son temps, des ingrédients éprouvés avec bonheur dans les premiers Spider-Man. Ici, une jeune lycéenne musulmane, extra fan de la Vengeur Miss Marvel, se retrouve dotée de pouvoirs extraordinaires, héritage génétique des Inhumains. Que va-t-elle pouvoir en faire à présent ? Les auteurs osent, avec prudence certes, intégrer des thématiques modernes ou des combinaisons actuelles laissées jusqu’ici de côté : une jeune femme musulmane, des super pouvoirs, une famille traditionnaliste, le tout avec beaucoup de pep’s et d’humour. La scénariste G.Wilson, elle-même convertit à l’Islam, apporte sa propre expérience et son regard singulier sur l’univers Marvel avec justesse.

murdermurder2Même si j’ai préféré son précédent album, Cendres, j’ai néanmoins beaucoup apprécié Murderabilia (Alvaro Ortiz / éd.Rackham). Le personnage principal va parcourir des kilomètres pour vendre à un collectionneur deux simples chats. Simples ? Non, pas tout à fait et leur histoire va amener leur propriétaire en quête d’acquéreur dans un trou perdu de l’Amérique. Un bus raté et une tendance à l’oisiveté va l’entraîner à y rester quelques jours… Pour son plus grand malheur ! L’originalité, tant dans le postulat de départ que dans le déroulement de l’histoire, est ici aussi de mise. Alvaro Ortiz devient donc un auteur à surveiller !

nimonimo2Dans Nimona (Noelle Stevenson / éd.Dargaud), les cadres traditionnels de l’heroïc fantasy sont mis à mal pour notre plus grand bonheur ! Quand on est un grand méchant, diplômé des hautes études de la vilenie et que l’on honore les règles propres aux grands méchants, se retrouver affublé d’une apprentie qui ne respecte rien est une vraie calamité ! Surtout quand cette dernière est polymorphe… Avec humour et dynamisme, cet album se jouent des carcans habituels du genre, tant scénaristiques que graphiques. Rafraîchissant.

La suite ici !!

Premier degré et seconds tomes (voire trois)

501 LETTER 44 T01[BD].inddAprès des reportages et des enquêtes, des histoires aux scénarios alambiqués, après une longue journée de conseil, j’ai parfois besoin de lectures « primaires ». C’est-à-dire avec des enjeux clairement établis, sans faux semblants ni effets de styles, avec une narration et une intrigue sans atermoiements ni fioritures. Simples en définitive mais attention, pas simplistes. Bref parfois, j’ai besoin d’un divertissement sans rien avoir d’autres à chercher que ça.

Par conséquent, j’ai abordé ces trois ouvrages sous cet angle-là : un plaisir direct, sans jugement, mais qui vous attrapent avec honnêteté. Et puis au-delà de la surface, petit à petit, plein de thématiques, de subtilités prennent du relief et inscrivent ces BD mainstream dans des lectures malines.

Commençons par Letter 44 de Charles Soule et Alberto Jimenez Alburquerque aux éditions Glénat Comics. Ah, Glénat Comics, elle a bien eu du mal à s’imposer cette collection et encore aujourd’hui, sa position est fragile. Après quelques tentatives véhémentes et désorganisées de s’imposer entre le taulier Panini et le rising star Urban, la ligne US de Glénat semblait compromise. L’arrivée d’Olivier Jalabert et Jean-David Morvan a redistribué les cartes : recentrage de la ligne éditoriale, proposition de titres variés (bien que discutables), maquette revisitée dans une sobriété blanche immaculée (face au noir élégant de Urban qui en son temps avait tranché avec la présentation Panini). Bref les outils sont là, ne restent plus qu’ trouver les bons titres et les lecteurs qui vont avec ! Et donc, on revient à Letter 44.
501 LETTER 44 T02[BD].inddAutant le dire tout de suite, ainsi nous n’y reviendrons plus. Oui, il faut se faire violence pour rentrer dans cette série, tant le dessin est laborieux, difficile, maladroit, parfois obstruant la lisibilité de la page. Ce n’est pas par ce biais-là que je vais pouvoir vous en vanter les mérites. Encore que dans ce deuxième tome cela s’améliore. Non, il s’agit du scénario qui, une fois accepté le postulat de base, vous tient en haleine. Une lettre du président des USA sortant attend le nouveau locataire de la Maison Blanche. Ce dernier, fraîchement investi, découvre avec stupeur que des activités extraterrestres ont été repérées dans notre système solaire, qu’une énorme machine à l’usage inconnu est en construction et qu’aucune information fiable n’est parvenue jusqu’à nous. Ainsi, toutes les décisions va-t-en-guerre de son prédécesseur n’étaient que de l’entraînement pour les militaires et la création d’un nouvel arsenal ! De plus, un équipage mixte scientifique-militaire est en route depuis quelques années pour obtenir des renseignements clairs sur la volonté des extraterrestres. Voilà donc un candidat élu sur un programme social, pour ses prises de position en faveur de l’éducation, sur l’emploi ou l’économie qui se retrouve avec une « patate chaude » qui le dépasse ! En parallèle, le voyage spatial de l’équipe à la rencontre des aliens hostiles ou indifférents montent en intensité au fur et à mesure que les détails se dévoilent…
La sortie du T2 a confirmé mon opinion sur cette série : j’ai apprécié le ton, l’intrigue, les rebondissements, le côté très hollywoodien et en même temps pertinent et vraisemblable. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec la série TV 24h chrono. Ici aussi, on alterne entre les décisions du président des USA et ses dimensions humaines à portée internationale, entre les spationautes confrontés à des dangers immédiats, entre les intrigues et ambitions d’alcôves (toujours justifiées par la raison d’état) avec ses coups de théâtre démesurés (mais après tout on a la bombe, non ?) et ses méchants « méchants » même au sein du dispositif gouvernemental.
Letter 44 est donc à découvrir et à apprécier pour ce que c’est : du très bon divertissement.

501 LAZARUS T01[BD].indd501 LAZARUS T02[BD].inddSecond titre à se démarquer dans ce tout nouveau catalogue Glénat : Lazarus de Greg Rucka et Michael Lark, deux auteurs au talent indiscutable et à la bibliographie en or massif (Whiteout, Gotham Central, Daredevil et tant d’autres et en ce moment Star Wars !). Dans un monde dystopique, que ne renierait pas tout amateur de cyberpunk, ravagé par les inégalités sociales, la famine, la pauvreté et autres réjouissances du même ordre, les gouvernements sont morts écrasés par leurs échecs. Mais ici à la place des « corpos », on trouve les familles, des groupes éhontément riches qui règnent sur des portions du monde, octroyant les miettes de leur pouvoir et de leur technologie à leurs affidés, leurs déchets à ronger à leurs serfs et une mort lente dans le désintérêt le plus total à tous les autres. Pour se divertir, bien sûr, on ambitionne de faire mains basses sur les ressources de la famille voisine et on lorgne sur de nouvelles alliances, le tout en gentlemen agreement avec des règles et des protocoles dûment inscrits pour éviter que l’on se saute à la gorge. Parmi ces protocoles, chaque famille possède un individu, surnommé Lazarus, chargé d’en assurer la protection, contre toute forme de danger, physique, économique ou diplomatique. Un esprit sain dans un corps surboosté donc pour réussir cet objectif. L’héroïne de l’histoire est Forever le Lazarus de la famille Carlyle.
501 LAZARUS T03[BD].inddComme dans tout bon drame, le cadre est déjà posé lorsque le lecteur découvre l’histoire, nul besoin de prendre le temps de l’évoquer en détail car nous sommes à un moment où tout va basculer. Forever remet en cause sa place et ses liens avec sa famille. Le ver est dans le fruit et donc toutes ses actions à venir portent le poids de la suspicion et du doute. Dès lors, le lecteur a tout loisir de découvrir par comparaison ce qui devrait être le cadre normal en même temps que le cadre avec ses inconstances. Avec plusieurs chapitres plus ou moins autonomes mais répondant d’une trame globale, Greg Rucka nous propose une montée crescendo dans l’urgence : incursion de territoire, menace d’attentat, échange d’otage et négociation inter-clans, autant de moment où les failles de Forever vont apparaître. Et où l’histoire va être envoûtante ! Le dessin réaliste et minimaliste de Mickael Lark, aux couleurs poussiéreuses et grises participent grandement à la qualité de cette série. Avec sobriété, il laisse entrevoir toute la puissance physique du Lazare, son extrême beauté mais aussi sa fragilité. Il donne également une crédibilité à ce monde qui n’est pas si éloigné du nôtre.
Avec ces deux titres principalement, Glénat Comics jouent des coudes et arrivent ainsi à trouver sa place sur un rayonnage comics largement surchargé.
the-activity-tome-1Pour finir sur une transition aisée, je vous rappelle que Greg Rucka a scénarisé l’excellente série Queen & Country, traduite aux éditions Akileos où nous suivions dans ses différentes missions une cellule du MI6, intervenant aux quatre coins du monde pour le compte de la couronne britannique. J’ai retrouvé (presque) le même plaisir à la lecture de The Activity, de Nathan Edmonson et  Mitch Gerads aux éditions Urban Comics narrant les exploits clandestins d’une cellule de la Intelligence Support Activity. Qu’est-ce que le ISA ? Une unité militaire américaine bien réelle bien qu’officiellement dissoute chargée de collecter des informations pour des missions spéciales, de préparer le terrain pour d’autres corps et enfin éventuellement « nettoyer » les boulettes des autres services. Extrêmement précis et bien documenté, le scénario d’Edmonson met l’accent sur l’action, le stress de l’accomplissement ou de l’échec de la mission tout en mettant en arrière-fond la géopolitique qui sous-tend les décisions stratégiques des supérieurs. Comme pour Lazarus, un artifice (bien connu) permet de faire rentrer le lecteur dans le quotidien de cette troupe : le remplacement d’un membre mort en mission par une jeune recrue facilite la maîtrise de l’univers. Là encore j’ai pris un plaisir primaire, décérébré peut-être me direz-vous, à lire ces aventures martiales où l’on frémit lorsque les balles volent dans la nuit, que la couverture aérienne est compromise ou que l’ennemi vous a débusqué.

 

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Mais après tout, j’assume !
Et vous ?

Le Côté obscur de la politique

[J’ai commencé à écrire cette chronique avant les événements parisiens de ce week-end. La tentation a été grande de ne pas l’achever, craignant les amalgames et l’évocation d’une violence (directe ou indirecte) dont on n’avait guère l’envie d’évoquer de sitôt. Mais, en définitive, j’ai décidé de finir de l’écrire mais également de la publier. Car la qualité de ces œuvres ne s’est pas amoindrie au contact de ces attentats et quoiqu’il en coûte un regard incisif sur notre passé et sur ses conséquences ne pourront que mieux nous éclairer sur notre présent.

Tout au moins, c’est ce que je nous souhaite…]

 

cherpaysTrois albums, chacun à sa manière, mettent un coup de projecteur sur des périodes sombres de la politique française. Politique des générations précédentes mais également de notre futur hypothétique proche. Et il ne se serait pas totalement aberrant de considérer que tout ça forme un tout, collant, pesant, nauséabond…

A tout seigneur, tout honneur, nous démarrons avec « Cher pays de notre enfance » de Benoit Collombat et Etienne Davodeau signé aux éditions Futuropolis. Les deux auteurs, le premier célèbre journaliste d’investigation, le second qui n’a plus rien à démontrer dans sa maîtrise de la BD-documentaire, enquêtent sur les affaires criminelles des années 1970 extrêmement chevillées au pouvoir en place, qu’il soit « pompidolien » ou « giscardien ». En toile de fond se dessine le rôle majeur du SAC (Service d’Action Civique), véritable milice privée aux ordres du parti gaulliste, flirtant impunément avec le milieu criminel tout autant qu’avec les cercles politiques influents. Les deux auteurs mettent en exergue trois événements marquants : les braquages du Gang des Lyonnais de 70 à 74, l’assassinat du juge Renaud en 1975 et le pseudo suicide du ministre Robert Boulin en 1979. Pour Benoit Collombat, l’implication du SAC et à travers lui de certains membres de l’exécutif ne fait aucun doute. Et cela fait froid dans le dos. Cette thèse est soutenue et étayée par un long travail d’enquête préalable, dont nous ne voyons que la partie émergée, mais également par une succession d’entretiens et de témoignages de protagonistes, voire d’acteurs majeurs de l’époque. Magistrats, hommes politiques, policiers, … tous apportent leurs preuves, aveux ou démentis sur cette période dont on a oublié ou plutôt fait oublier la violence.

cher-pays-de-mon-enfance-2Avec l’efficacité qui le caractérise, Etienne Davodeau nous fait plonger dans cette enquête avec aisance ; il précise lorsque c’est nécessaire, il illustre lorsque le dynamisme se relâche. Jamais, le lecteur ne se sent envahi par un flot d’informations, il se sent au contraire pris par la main de ce dessinateur qui cherche lui aussi à savoir, à comprendre. Malgré la noirceur des situations, Etienne Davodeau trouve toujours le moyen d’enlever un peu de pression avec quelques pointes d’humour (notamment avec G.Collard) et un dessin aérien.

Cet ouvrage, dont certains chapitres avaient été prépubliés dans la Revue Dessinée, mérite amplement le temps que vous allez lui consacrer car il lève le voile sur une génération de malfrats et/ ou de politiciens, dont certains ne viennent de se retirer que depuis peu…

 

501 UCT - UNITE COMBATTANTE TRUDAINE[BD].inddRestons dans les Années de Plomb propre à la France avec « Unité Combattante Trudaine » de Sylvain Ricard et Rica aux éditions Glénat. Ne malmenez pas votre encyclopédie ou ne maudissez pas Wikipedia : ce groupe révolutionnaire n’existe pas. Ou tout au moins pas ainsi. Le scénariste, également rédacteur en chef de la Revue Dessinée, s’est inspiré de tous les mouvements radicaux de l’époque pour composer cette équipe fictionnelle. Comme Action Directe, les Brigades Rouges ou encore la Fraction Armée Rouge, dont ils se revendiquent, les jeunes de l’UCT veulent viser des cibles politiques majeures ou des représentants du pouvoir impérialiste. Du terrorisme ciblé et porté par des idéaux, loin donc du terrorisme aveugle et religieux de notre génération. Toutefois, ces actions sanglantes se doivent d’être réprimées, empêchées par tous les moyens. Par conséquent, les Renseignements Généraux dépêchent une de leurs jeunes recrues pour infiltrer ce groupe afin de le démanteler de l’intérieur. Toutefois, entre fidélité aux drapeaux et fidélité à un groupe (et à une femme), William va être profondément tiraillé, malgré l’horreur de leurs actes. Les auteurs nous proposent avec ce récit complet une efficace fiction très bien documentée sur cette période trouble de l’histoire de notre pays, qui n’est pas sans rappeler l’excellent diptyque « La Mano » (Pagliaro & Thirault) aux éditions Dargaud.

 

presidenteEnfin, l’ovni de ces dernières semaines : « La Présidente » de François Durpaire et Farid Boudjellal (éditions les Arènes). Le postulat de l’album est simple : Marine le Pen gagne les élections de 2017 avec une très faible majorité. Elle va donc pouvoir mener sa politique comme bon lui semble… ou presque. Les auteurs, pour mettre ce qui (espérons-le) est une uchronie anticipatoire, choisissent quelques postulats (multiplication des candidats à droite, campagne à outrance) tout à fait crédibles et vraisemblables qui permettent l’accession à la charge suprême de la présidente du Front National. Après cela, ils déroulent les premiers 100 jours de sa présidence en s’appuyant stricto sensus sur le programme déjà existant du parti d’extrême-droite.

A n’en pas douter, les deux auteurs ne cherchent pas à valider les idéaux de Marine Le Pen, ils évitent toutefois la caricature en restant dans le plausible et la mesure, en se collant à la logique de leur vision de la France… Hé bien, cela fait peur… Ce récit complet est une sorte de « on ne pourra pas vous dire que l’on ne vous a pas prévenu. A vous de prendre vos responsabilités ou de vérifier que ce que l’on dit n’est pas vrai. » Même si la petite pirouette de fin semble excessive ou que le dessin ultra photo réaliste (inhabituel de la part de Farid Boudjellal) dérangent un peu, cet album, comme les deux précédemment cités, fait mouche.

 

Ces trois bandes dessinées nous permettent de déciller les yeux et de se rappeler ce que l’on veut vraiment pour la France.

Cataclysme de l’histoire

simonRéaliser une fresque riche et réaliste d’un monde post-cataclysmique en sf est un exercice périlleux. L’excès de menaces, nucléaires, bactériologiques ou autres, peuvent ridiculiser un projet, de même que la situation de survie de la population peut s’avérer irréaliste : comment se débrouiller au quotidien ? La réponse n’est pas si aisée.

Deux récits, pourtant, me tiennent à coeur, parmi ceux produits dans la fin des années 70 début des années 80 : le cycle d’Armalite 16 de Michel Crespin et Simon du Fleuve de Claude Auclair. Chacun à leur manière a plongé le monde dans le chaos puis l’a ramené à ses valeurs premières. Le premier en partant du postulat que la guerre (première ou seconde qu’importe) ne s’est jamais arrêtée. Pour le second, la catastrophe initiale est plus floue mais la civilisation telle qu’on l’a connue n’est plus. Mais en définitive, pour les habitants de l’un ou de l’autre, c’est le retour à la terre, à des communautés à échelle humaine et le souvenir d’une modernité qui les a menés à leur perte. Il n’est pas étonnant de voir pour Michel Crespin comme pour Claude Auclair, que l’inspiration de l’écrivain Jean Giono a été manifeste, que l’antimilitarisme et l’utopie de l’époque transpirent de ces planches, atypiques dans les pages de Métal Hurlant (pour Armalite 16) comme dans celles du Journal de Tintin (pour Simon du Fleuve).

 

Dans leur démarche de remise en avant de leur patrimoine, les éditions du Lombard rééditent après de longues années d’indisponibilité les aventures de « Simon du Fleuve« , fable SF humaine et humaniste. Un long dossier présente l’auteur et son oeuvre, tout en remettant celle-ci dans le contexte de l’époque. Pour le lecteur d’aujourd’hui, Simon du Fleuve souffre de la narration de son temps, un rythme lent, avec des envolées littéraires qui ne portent plus. Malgré tout, l’histoire est là prenante et lancinante, le dessin également. Il ne reste plus qu’à rééditer « Bran Ruz » et là ce sera parfait !

 

turing« Le Cas Alan Turing » se penche avec talent sur la vie du mathématicien anglais, père de l’informatique moderne. Eric Liberge au dessin et Arnaud Delalande au scénario rappellent bien évidemment son rôle décisif dans le décryptage des messages allemands d’Enigma. Mais pas uniquement : son enfance, son homosexualité, son rapport aux chiffres et sa place dans la société puritaine britannique, tous ces éléments sont évoqués rapidement certes mais efficacement. Le dossier qui vient clore l’album rappelle que cet ouvrage paraît aux Arènes, éditeur du magazine de reportages XXI qui souhaite renforcer sa place en BD. Turing est un personnage très étonnant véritable génie en décalage avec son temps, un biopic cinématographique lui a été dédié il y a quelques mois. J’aimerai juste qu’un jour, quelqu’un me raconte la vie, les convictions, … du créateur d’Enigma dont, malheur aux vaincus, le béotien ne sait rien . Avis aux auteurs…

 

amants3Pour finir, le troisième et dernier tome de « La Guerre des Amants » de Jack Manini et Olivier Mangin se penche sur les Monument Men, soldats chargés de rassembler les œuvres d’art volées par le Reich et dispersés aux quatre coins de l’Europe. Ainsi se clôt le destin des artistes engagés Natalia la Russe et Walter l’Américain, après un amour dévorant et une passion tout aussi puissante pour l’Art. Si vous n’avez pas encore découvert cette saga parue aux éditions Glénat qui vous plongera dans le Bauhaus ou le constructivisme, avec des dossier particulièrement exhaustif, je vous engage à corriger rapidement cette erreur !

Y a pas que les Grands…

Allez, je vous remets l’air pour ceux qui ont oublié (ou ont été traumatisés ou n’étaient pas nés…). https://www.youtube.com/watch?v=_Hix6xAHuDc

Et donc :

« Y a pas que les Grands qui Aiment,

Y a pas que les Grands qui Lisent de l’Indépendant… »

Non, cela m’arrive aussi, non mais ! C’est juste que le Grand, il mitraille de la chronique plus vite que son ombre ! Alors, forcément…

cendresLes éditions Rackham viennent d’avoir la bonne idée de publier « Cendres » d’Alvaro Ortiz. Tout démarre avec les retrouvailles de trois anciennes connaissances, ayant fait les 400 coups ensemble, puis que le temps a éloignés. Sauf que ce groupe d’amis n’était pas un trio mais jadis un quatuor. Et ce quatrième absent et le rendez-vous qu’il a organisé sont au centre de ce périple. Polly, Moho et Pitter, sans oublier Andrès un singe vont avaler les kilomètres et les souvenirs.

Alvaro Ortiz ne nous fait pas miroiter un improbable suspens sur les motivations premières de ce road-movie parfois tendu. Non, il joue rapidement cartes sur table, mais sait se préserver quelques effets de surprise sur le dénouement dont il a su distiller habilement les indices tout au long de l’ouvrage. Le choix narratif – évocation de l’histoire par un des personnages qui fait le point sur cette aventure -, les digressions et les saut dans le temps dynamisent et enrichissent le récit, plus qu’ils ne le ralentissent. Surtout, ils permettent de suspendre notre incrédulité naturelle (un singe qui conduit ? des bikers poilus hommes de main ?), d’accepter toutes ces « anomalies » volontaires et de plonger sans a priori dans cette histoire. Enfin, une force poétique et une élégance indolente dans le dessin, saupoudrées d’une pointe d’humour, entoure ce joli petit album, que, vous l’aurez compris, j’ai aimé.

trouLe deuxième titre « indé » que je vous conseille est « Le Trou« . Un individu trouve un trou chez lui, un trou aux capacités étranges. Face à ce phénomène, il décide de l’amener auprès de scientifiques… Je ne vous en ferai pas des caisses, cet album se voit plus qu’il ne se lit. Cela vient du froid, de Norvège pour être précis et l’auteur O.Torseter pourrait être un lointain cousin de M.A.Matthieu. C’est publié à La Joie de Lire.

 

 

Allez, je reviens dans du « mainstream » avec plein de rouages maintenant, encore que…

douce« Douce, Tiède et Parfumée« , tel est le titre joliment suranné de cette nouvelle série réalisée par Ignacio Noé aux éditions Glénat. Vous vous souvenez certainement des superbes planches de la série « Helldorado » (Morvan & Dufranne, Casterman), peut-être même que certains avaient pu admirer son talent dans des séries aux héroïnes plus dénudées. Qu’importe, découvrez ici la majestueuse délicatesse de ce maître argentin et sa colorisation toute en finesse. Dans une Angleterre victorienne où tout est à découvrir, où les carcans de la « bonne » société sont encore solides, une jeune fille de l’aristocratie londonienne  va tenter d’éclaircir les raisons de l’assassinat de son père. Quitte à y laisser des plumes ! Si ce n’est l’adoption d’un rythme très rapide et d’une fluidité dans la narration qui pourrait frustrer les amateurs de récits plus lents, le scénario surprend par sa fraîcheur et son dynamisme. A découvrir au plus tôt !

 

city hallJe me souviens d’un petit déjeuner angoumoisin et festivalier en 2011 où, en compagnie d’Elsa Brant et Guillaume Lapeyre, j’avais écouté, frétillant, les premières évocations de « City Hall ». Le carton sous le bras, Guillaume Lapeyre partait en pèlerinage pour trouver un éditeur à même d’accueillir cette iconoclaste série. Ce fut Ankama et une belle surprise en librairie. Aujourd’hui, sort le troisième et dernier tome de la première saison de City Hall, un monde où les écrivains ont un grand pouvoir (et donc de grandes responsabilités !) car ce qu’ils couchent sur papier à la capacité de devenir réel. Les autorités ont par conséquent détruit toutes les réserves de papier et imposé l’écriture par le biais de clavier ou de machine, plus manuelle. Malheureusement, un mystérieux Black Fowl terrorise Londres par sa plume habile. Le jeune Jules Verne et son acolyte Arthur C.Doyle parviendront-ils à déjouer ses plans ? Le scénario de Rémi Guérin est habile et efficace, mené tambours battants. On pourrait souvent reprocher une trop grande expressivité dans les réactions des personnages (tel l’inspecteur page 131), une théâtralisation mêlée de trop de pathos et quelques effets de manches que n’aurait pas renié Houdini, mais on n’adopte pas certains codes du manga et passer outre ses caractéristiques les plus « outrancières ». De plus, l’auteur mitraille (comme Gérald) de références et de citations, parfois de trop. Mais qu’est-ce que tout ceci face au plaisir de lire cette explosive série ? Faites-vous plaisir et sautez en marche !

 

cuttingEnfin, « Cutting Edge » aux éditions Delcourt, de Francesco Dimitri et Mario Alberti . Ce dernier, dessinateur italien issu de l’écurie Bonnelli, m’avait fortement marqué il y a dix ans déjà avec « Morgana » aux éditions Humanoïdes Associés, et certaines de ces productions outre-Atlantique. Il m’avait cependant largement déçu pour les pages qu’il assurait dans « Les Chroniques de Légion« . Je suis donc soulagé de le retrouver avec le style élégant de ses débuts français tout en ayant assimilé le dynamisme recherché dans ses œuvres les plus récentes. L’écrivain Francesco Dimitri réalise ici son premier scénario de bande dessinée où tout tourne autour d’un dodécathlon… ! Ah, mais qu’est-ce qu’un dodécathlon ? Pour les non-hellénistes, il s’agit de douze épreuves, ici organisées par la prestigieuse mais mystérieuse Corporation Leviathan (vous sentez venir le piège, mm ?) pour les meilleurs compétiteurs dans leur domaine respectif. Il y a ainsi des scientifiques, des sociologues, des artistes, des sportifs… En accumulant secrets sur silences, saupoudrés de manipulations, enrobés de demi-mensonges et de fourberies, les voilà lancés sur le défi. De tous ces « kalos kagathos », nous n’en suivons que cinq pour une première épreuve qui somme toute semble fort simple… Mais attention au faux-semblant ! Je suis curieux de voir ce que nous réserve la suite (combien de tomes par épreuve ? Verra-t-on les douze ?) mais pour l’instant j’adhère ! Et j’espère que vous aussi.

That’s all folks… Y’a pas que les grands…. hum.