Coups de coeur : Du libraire chevelu

Fire Walk with Me

Bon, allez, j’avoue : oui, je recycle mes titres (surtout ceux qui me font sourire moi, égoïstement). Celui-ci, je l’avais utilisé dans feu Pavillon Rouge (magazine des éditions Delcourt) pour chroniquer le premier tome de la cultissime et géniale série « Powers« .

Fusion Comics, label transfuge de Soleil à présent dans le giron de Panini, a eu la bonne idée de rééditer les deux premiers tomes de cette série atypique. Dans un monde où les super-héros sont le lot quotidien (et pesant) des habitants de cette métropole américaine, une brigade criminelle spécialisée est indispensable. Christian Walker et Deena Pilgrim sont inspecteurs de cette section chargée d’enquêter sur toutes les affaires liées aux « surhumains ». Et ils vont avoir sur le dos la mort de Retro Girl. Alors, pourquoi, me direz-vous, avoir utilisé ce titre et réitérer aujourd’hui ? Hé bien, comme dans Twin Peaks, en définitive, la résolution du meutre, qu’il soit de Lara Palmer ou de Retro Girl, importe peu. L’accent est mis sur cet univers étrange et bigarré, sur les relations entre les deux coéquipiers, sur les zones d’ombre qui peu à peu s’éclairent… Cet album est paru en 2000 scénarisé par Brian M.Bendis et dessiné par Mike A.Oeming. Trois années auparavant, une autre série avait attiré les poncifs du super-héros sur des terrains novateurs : Astro City de Kurt Busiek et Brent Anderson, une vrai perle ! Le public était mûr pour intégrer ces séries décalées, à la fois respectueuses et impertinantes. Dès ses premières oeuvres, Bendis usa de son artifice artistique qu’il affectionne tant : la joute verbale, le dialogue mitraillé, la logorhée tenace. Et avec efficacité ! Quant à Oeming, son dessin radical et racé intrigua de prime abord pour ne plus lâcher ensuite.

Cette série comporte six enquêtes et continue encore aujourd’hui, avec des rumeurs persistantes et toujours fluctuantes d’adaptation TV.

 

 

Lorsque Strangers in Paradise est arrivé en France aux éditions Le Téméraire, Terry Moore n’était pas connu… Et aujourd’hui, pas plus ! Et pourtant, ce serait passer à côté d’un grand raconteur d’histoire que d’ignorer son travail. SIP (comme disent les intimes) mais également Echo, publié à l’heure actuelle aux éditions Delcourt. Alors que l’avant-dernier tome s’offre à vos regards avides, revenons sur cette série atypique. Alors que Julie prend des photographies en plein désert du Névada, elle assiste à l’assassinat commandité d’Annie, scientifique et pilote, qui teste une nouvelle armure conçue en métal liquide. Puisque l’assassinat est perpétré à coups de missiles, voilà que des fragments d’armure tombent et adhèrent à la peau de Julie. Les ennuis commencent… Terry Moore a su mêler avec harmonie science-fiction et peinture des sentiments dans Echo, comme il avait su faire cohabiter thriller et soap-opera dans SIP. Ses femmes sont fortes, fragiles et attachantes, ses personnages tout en nuances et en contradictions… Alors que le final s’annonce apocalyptique, hâtez-vous de découvrir cette série marquante.

 

 

 

 

 

 

Pierre Boulle, vous connaissez ? Si vous dîtes non, vous pouvez être de bonne foi et mentir quand même. Quelque soit votre âge, vous avez eu l’occasion de cotoyer l’héritage cinématographique de son oeuvre littéraire, avec plus ou moins de bonheur. En écrivant en 1963, La Planète des Singes, cet auteur français ne devait pas se douter de la longévité des thèmes abordés. Aujourd’hui, les éditions E.Proust propose la traduction d’une nouvelle saga dans cet univers où les primates intelligents règnent sur le monde. Sauf que dans cette histoire imaginée par Daryl Gregory et dessinée par Carlos Magno, les hommes et les singes sont arrivés à une paix instable mais néanmoins présente. Il ne faudrait qu’une étincelle pour que la guerre s’enflamme de nouveau. Or l’archonte est assassiné par un humain… La qualité de cette série, qui comportera trois tomes, réside dans un dynamisme et une plongée immédiate dans l’histoire. En effet, nul besoin de reprendre la totalité de la saga, soit vous l’avez vu en film, soit vous devinerez le dessous des cartes à la lecture.

Voilà, trois comics qui ne faudrait pas râter en ce moment. Après, c’est vous qui voyez !!

Une ambiance jazzy, épique ou dramatique pour un peu de génie

Aujourd’hui, trois albums aux couvertures sombres, « Asgard » de Xavier Dorison et Ralph Meyer (éd.Dargaud), « Lloyd Singer » T.7 de Luc Brunschwig et Olivier Martin (éd.Grand Angle) et « Nocturne » de Pascal Blanchet (éd.La Pastèque). Pour chacun d’entre eux, on peut se poser la question ô combien métaphysique : à quoi tient l’état de grâce, l’instant de génie, la félicité de la lecture ?

Une question multiple aux réponses tout aussi évanescentes. Cela tient à pas grand chose, une alchimie instable que l’on ne peut reproduire à loisir, une inspiration du moment qui ne fonctionne qu’à un moment. Regardez « Asgard » – nous ne nous étendrons pas, Romain a eu la primeur de la critique -, le scénario est-il d’une incroyable ingéniosité ? Non, il puise dans des thématiques présentes depuis la nuit des temps que Xavier Dorison modèle sur un schéma qui n’est pas sans rappeler Moby Dick. La mécanique est implacable, huilé et sans heurt. L’auteur nous démontre qu’il sait raconter une histoire avec virtuosité. S’attend-on aux événements et aux péripéties ? Oui, sans doute, mais est-ce vraiment un problème ? Que demandons-nous d’Asgard si ce n’est qu’il affronte physiquement et métaphoriquement le monstre qui terrorise le peuple dont il est issu mais qui le rejette ? N’anticipons-nous pas le trépas de victimes collatérales ou volontaires sur son chemin ? Si, mais on est emporté et on en redemande ! Le dessin de Ralph Meyer participe grandement à cette adhésion sans arrière pensée. Avec réalisme, précision et fougue, cet excellent auteur (pas suffisamment connu à mon goût) ancre le récit dans un univers et une culture, là encore mille fois arpentés, qu’il  nous fait presque redécouvrir. Et lorsque l’heure de l’affrontement sonne, il ne ménage pas ses moyens pour nous faire entrer dans son récit.

Là est peut-être la réponse : cela tient à transformer un récit de prime abord classique à un plaisir unique (c’est-à-dire qui se démarque de tout ce qui a été fait auparavant).

La plénitude consiste aussi, peut-être, à trouver le juste équilibre entre divertissement et introspection. Entre le drame familial et intime et le suspens haletant. Cette subtile harmonie est atteinte dans le tome 7 de Lloyd Singer. Dans le premier tome de ce troisième cycle, la famille Singer doit affronter ses propres démons et détisser la tragédie qu’ils ont patiemment et longuement confectionnée depuis de si longues années. L’heure n’est plus aux silences et aux compromis, tant l’instabilité mentale de chacun d’eux est profonde. Cette psychanalyse leur permettra de regarder avec lucidité ce qui s’est passé du vivant de leurs parents… Pendant ce temps, un tueur en série oeuvre dans l’ombre avec une macabre détermination. Luc Brunschwig fait mouche une fois de plus en montrant tant d’humanité dans ses personnages. Et en ne jettant pas aux orties tout ce qui suscite l’attrait d’un thriller. Equilibriste ! Quant à Olivier Martin, il relève haut la main le défi qu’aurait pu être la succession d’Olivier Neuray. Ce diptyque s’annonce très très fort.

Enfin, la grâce s’est aussi, sans doute, de pouvoir jouer avec le grand absent : le son. N’entendez-vous pas la chaude mélodie d’une voix sensuelle autant que nostalgique lorsque vous vous perdez dans les pages de « Nocturne » ? Voilà un vrai coup de coeur surprise, une petite pépite inattendue qui sort de notre tamis. Certes, l’histoire est conventionnelle et ne révolutionne pas le monde de la BD. Mais, bon sang, ici encore, quelle ambiance ! Quelle élégance dans le trait (virtuel) de Quelle chaleur, quel souffle, la moiteur de la nuit, la touffeur de l’été se perçoivent autant que le grésillement de la TSF. Les ondes vont porter tout au long de ces pages et de cette nuit la chanson d’une étoile sur le point de vaciller. Elle va être le compagnon nocturne de destins simples mais…touchant.

Voilà à quoi cela tient : une découverte de libraire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sans papier, sans héros, sans espoir…

… mais avec de très beaux albums !

il y a quelques temps, Romain vous avait fait découvrir Les Âmes Nomades (éd.Grand Angle) qui s’attache à la vie en clandestinité de sans-papiers. Aurélien Ducoudray, puisant dans son expérience journalistique qui l’avait amené directement sur le terrain, aborde lui aussi cette réalité lourde, pesante, souvent dramatique, mais ô combien humaine.

Bilel, plein d’espoirs et d’attentes, a quitté le bled pour rejoindre son frère qui s’est « installé » en France une année auparavant. Bien sûr, l’un comme l’autre sont rentrés illégalement sur le territoire. Ballotté par des passeurs peu scrupuleux de containers en squats sordides, le jeune garçon garde intacte cette flamme si particulière qui le pousse en avant malgré les très nombreuses déconvenues. Et c’est notamment par le foot (et Beckham, d’où le titre) qu’il ne sombre pas. Mais attention, je vous arrête tout de suite, on n’est pas à Hollywood, il ne va pas miraculeusement devenir une star du ballon rond et s’évader d’un but de ce monde miséreux… Non, loin de là.

Jeff Pourquié (qui a fait quelques adaptations du Poulpe entre autres) avec un dessin très nerveux et anguleux, par un jeu de couleurs où la rouille, le béton, la saleté font ressortir une réalité difficile, apporte une efficacité étonnante à cet album. Les regards remplissent les silences de Bilel…

Après le déroutant « La Faute aux Chinois » et le percutant « The Grocery« , « Békame » (éd.Futuropolis) prouve qu’il y a encore un scénariste à surveiller de très très près !

Samedi prochain, Rémi Gourrierec viendra dédicacer le premier tome de « Big Crunch » (éd.Delcourt). Hé bien cet album est un véritable Big Bang (uhuhu….) ! Allez, soyons honnêtes, j’ai failli passer à côté de ce très bon album. Discret, c’est un petit format comme tous les albums de la collection Shampooing ; inclassable, il emprunte à tous les genres (comics, franco-belge) et à tous les styles ; intrigant, par une couverture peu explicite, il a été victime du délit de « faciès » que connaît malheureusement un grand nombre d’albums (et oui, nous sommes perfectibles). Heureusement, alléluia, le destin m’a tendu cette BD en me disant « Va et lis ». Et donc je suis allé lire…

En France, pour faire face à l’apparition des émergences – des transformations monstrueuses et aléatoires de quidams provoquant de nombreux incidents – et à leur multiplications, les autorités… n’ont rien fait ! Pourquoi faire ? Cosmos, super justicier mystérieux se charge de tout ! Pour trois frangins habitant Paris, Cosmos est leur quotidien et à leurs âges respectifs (ado, pré-ado et enfant), ils ont bien d’autres préoccupations. Dont sortir avec une fille… Mais tout va basculer dans leur… cuisine.

C’est beau, c’est bon, c’est bien, venez Samedi !

 

 

 

Pour finir, on ne peut que se féliciter des promesses non tenues. Quelques années auparavant, Guillaume Sorel avait déclaré souhaiter s’éloigner de la BD. Paroles en l’air ou véritable volonté, nous ne le serons jamais et tant mieux car il  nous offre toujours des albums de très grande qualité. Laurent Seksik adapte son propre roman en bande dessinée pour un Guillaume Sorel au meilleur de sa forme.

Stefan Zweig, illustre romancier, grand intellectuel, a quitté les affres de la guerre avec sa seconde épouse, Lotte. Néanmoins, il a laissé derrière lui la mort et la guerre, des fantômes de proches qui le hantent, une société qu’il sait à jamais perdue. Et surtout une menace qui gronde, sourde, implacable, qui s’insinue dans les pensées de l’écrivain. On ne s’affranchit pas de toute cette souffrance, de ce deuil, de la perte de tout espoir par quelques rayons de soleil et un exil que l’on veut confortable. Et pourtant, c’est au Brésil que le couple tente de se reconstruire…

Pardonnez la comparaison, mais on se retrouve dans la même position que lorsqu’on regarde « Titanic » ou « Apollo XII », on sait pertinemment ce qui va se passer. On n’en est pas moins dans l’expectative d’une issue autre… Découvrez donc les « Derniers Jours de Stefan Zweig » de Sorel et Seksik, éditions Casterman.

Par l’eau ou par l’épée

Il y a quelques mois, je vous avais dévoilé tout le bien que je pensais du « Viandier de Polpette » scénarisé par Olivier Milhaud. Ce dernier, en quelques pages, donnait corps à un univers cohérent, original et surtout attachant. Il semblerait que ce jeune (?) homme soit à classer dans la catégorie des récidivistes.

En effet, il nous propose ce mois-ci un premier tome d’une série extrêmement prometteuse : « Agito Cosmos » (éditions Glénat). Dans un futur indéterminé, la mer a recouvert une grande partie des surfaces habitables. La population humaine, largement diminuée, a dû faire face et s’adapter pour survivre. La société est à présent stabilisée (notamment grâce à une aide extérieure) et tente de retrouver le lustre d’antan.

Suivent alors trois lignes d’intrigue pour l’instant distinctes : une femme soldat qui supervise une équipe d’archéologues sous-marins qui remontent des vestiges de la civilisation de « jadis » ; un jeune garçon qui s’apprête à accomplir le rite de passage à l’âge adulte sur une petite île ; un détective privé qui tente de déjouer les machinations d’un génie du crime.

Pour cet album, Olivier Milhaud s’est adjoint les talents de Fabien Mense qui s’était déjà illustré sur la série « Les Tikitis » issue de l’univers de Lucha Libre (Humanoïdes Associés). C’est frais, c’est beau, c’est dynamique, on est porté, captivé par une histoire qui certes s’installe plus qu’elle ne se développe dans ce premier tome. Mais elle laisse entrevoir d’ores et déjà d’agréables moments de lecture. Par l’esthétisme des personnages, par leurs mimiques et même par l’approche de l’histoire, je n’ai pu m’empêcher de penser à deux dessins animés : « Nadia et le Secret de l’Eau Bleue » et surtout « Sherlock Holmes » de Miyazaki. Vous l’aurez compris : c’est un gros coup de cœur !

Sans transition aucune, je suis comblé par le retour d’Ubel Blatt de Etorōji Shiono (éditions Ki-Oon). Après presque deux ans d’absence, le tome 11 renoue avec la fougue et le panache propre à cette série. Là où d’autres mangas d’heroïc fantasy (et il n’y en a pas tant que ça) aurait pu tomber dans le piège d’un classicisme convenu (des castes de chevaliers, des monstres, des elfes,..) ou dans le piège d’une mécanique trop prévisible (le syndrome Seyiar / Maisons / Escaliers, variante du porte/monstre/trésor), Ubel Blatt surprend et rebondit dans une direction inattendue qui ravive l’intérêt d’une simple vengeance.

L’auteur aime son monde et cela se sent tant il prend soin à le décrire et à le rendre vivant. Peut-être d’ailleurs est-ce là où réside un des défauts de cette histoire. A vouloir rendre un univers foisonnant et crédible, on doit miser sur un lectorat attentif et scrupuleux. Et moi je dois admettre qu’au bout du premier paragraphe encyclopédique, je cède…

Mais qu’à cela ne tienne, je resterai novice dans la connaissance du continent d’Ubel Blatt et j’en retirerai toujours autant de plaisir !

Que faisiez-vous ce jour-là à Pederson ?

Il fut une époque où Joe Straczynski était plus connu pour ces séries TV que pour ses comics, si, si. Bien que je n’ai jamais eu le courage d’aller jusqu’au bout (  » Tu as tort les dernières saisons sont les meilleures ! »), j’ai découvert l’univers de ce scénariste en visionnant la série, devenue culte, « Babylon V » (en VHS of course). Personnages fouillés, actions ancrées dans le réel, intrigue ciselée avec un maillage serrée, l’auteur avait fait ses gammes sur ce space-opera débridé. Et puis un jour, il s’est mis en tête de faire du comics !

Deux séries ont alors vu le jour, « Rising Stars » et « Midnight Nation« . Le succès de ces deux expériences lui a permis de mettre un pied dans le comics puis très rapidement un deuxième pied chez Marvel, avec le succès et la longévité que l’on sait.

Dans Rising Stars, JMS donne tout ce qu’il a à donner pour cette série, développant thèmes et intrigues comme s’il n’allait plus jamais avoir l’occasion de le faire, quitte à rendre tout ceci un peu pesant. Tout y passe : son attirance pour le mythe du super-héros, sa méfiance sur la main-mise de l’état sur l’individu, l’instrumentalisation de la religion,… Il se construit un univers cohérent en appliquant des principes qui avaient déjà fait leurs preuves. Un environnement fini (113 enfants à Pederson), la remise en cause du super-héros par son ancrage dans le réel, l’élimination volontaire de ces « spéciaux » (et là on lorgne un peu vers Watchmen), il réexploite aussi certaines idées exprimées dans Babylon V (par exemple l’usage de la télékinésie de petits objets à des fins d’assassinat)… Et cela en fait une série très efficace.

Alors, bien sûr, on peut reprocher à l’auteur d’avoir scindé celle-ci en deux grosses parties distinctes, la deuxième ayant – selon moi – moins d’originalité. Néanmoins, on a face à soi une oeuvre pensée de bout en bout avec ses grandes qualités et ses petits défauts. Défauts qui d’ailleurs pourraient être tout entiers résumés par la défaillance chronique des dessinateurs. Ils n’ont pas arrêté de se succéder pour des raisons diverses et variées !

Aujourd’hui, Delcourt nous propose en trois tomes l’intégralité de cette histoire, avec cette fin demeurée jusqu’ici inédite en France, les éditions Semic n’ayant eu l’occasion de la traduire.

Jetez-vous donc dans cette éclatante épopée !

 

Aller retour en plein hiver

Il y a des auteurs que l’on aime retrouver régulièrement, que l’on suit, un peu les yeux fermés, dans chacune de leurs expérimentations. Parfois déçus, souvent confortés dans l’idée qu’ils sont de grands auteurs, nous abordons avec eux des nouveaux plaisirs de lecture.

En ce début d’année 2012, il en est deux parmi ces auteurs que nous retrouvons avec plaisir : Frédéric Bezian  et Paco Roca.

Pour lepremier, depuis longtemps, vos trois libraires (préférés !) sont entièrement voués à la cause de ce très grand dessinateur. « Ne Touchez à Rien« , « Les Gardes-Fous » sont autant d’albums que nous mettons entre les mains de lecteurs en quête de nouvelles expériences. Son graphisme sec et anguleux, ses scénarios complexes, ses choix de couleurs,… sont sans conteste des marques d’indépendance de style qu’il instille avec brio. Il impose une ambiance crépusculaire où le mystère mêlé aux expériences intimes ne sont pas étrangers. Si l’album sur Bourdelle était trop abscon pour moi et son journal personnel anecdotique, je sentais que « Aller-Retour » allait être une bonne expérience de lecture.

Bingo ! Mais attention là encore, Bézian est un auteur exigeant dont les oeuvres ne se laissent pas percer dès les premières pages, il faut du temps et se laisser s’imprégner de l’atmosphère surannée et nostalgique. Pour qu’enfin – à la fin – tout se dévoile… Dès lors, l’errance de Basile Far, cet homme aux pensées intérieures riches et virevoltantes, dans une petite bourgade de province prend tout son sens. Et les bouffées des années 60-70 tout autant.

J’avais découvert pour la première fois le travail de Paco Roca dans le très inquiétant et très surprenant « Le Jeu Lugubre » où il revisitait la vie de Salvador Dali. J’avais apprécié « Rides » et le traitement juste et sans pathos apporté sur la maladie d’Alzheimer. « L’Ange de la Retirada » avait également attiré ma sympathie. Ici, avec « L’Hiver du Dessinateur », Paco Roca brosse le quotidien de dessinateurs de bandes dessinées espagnols dans la fin des années 50. En faisant des bonds dans le temps, Roca, s’appuyant sur des témoignages divers et une solide documentation (agrémentés de souvenirs de lectures personnelles sans aucun doute) nous fait pénétrer dans la rédaction du magazine Pulgarcito détenu par les éditions Bruguera. Ces dernières tenaient d’une main de fer la destinée de nombreux auteurs et maintenaient à tout prix le monopole, n’hésitant pas à briser les volontés d’émancipation de certains dessinateurs voulant créer leur propre revue. Avec finesse, Roca restitue une société figée dans le Franquisme où toutes les libertés n’ont pas leur place.  Avec nostalgie mais sans larmoyance et surtout en étant accessible aux lecteurs français que nous sommes, il réinvoque une époque. En plus c’est un très bel objet. A ce propos, je pense que les couleurs différentes de chaque cahier du livre doivent faire référence aux couleurs des cahiers des magazines de l’époque. Quelqu’un peut confirmer ?

En tout cas, deux bien belles lectures !!

Toujours par trois, ils vont

Puisque la Science Fiction est à l’honneur cette semaine (Utopiales obligent), » Aama » a l’honneur d’être en tête de mes coups de coeur. Alors que les éditions Atrabile ont eu la judicieuse (juteuse ?) idée de compiler les 4 tomes de « Lupus » en une très belle intégrale, voici que Frederic Peeters investit de nouveau le champs de la SF avec un succès certain. Plus réaliste que ses oeuvres précédentes, plus proche de « RG » que de « Pilules Bleues » par exemple, cet auteur complet nous propose un récit classique et solidement charpenté où un certain Verloc se retrouve amnésique sur une planète qu’il ne reconnaît pas. Seul son journal intime lui permettra de renouer les liens de sa mémoire, sachant que, au coeur de ce récit, divers flashbacks s’y imbriquent. Intrigues croisées, mise en abyme, voilà le début d’une saga palpitante (éd. Gallimard).
 
 
 
 
 
 
 
 

Comment ? Vous ne connaissez pas Delilah Dirk ? Pourtant vous gagnerez à la rencontrer… ou pas. En effet, le lieutenant turc Selim se serait bien passé de croiser cette intrépide et sémillante aventurière. En effet, à cause d’elle, le voici considéré comme traître et contraint à quitter Constantinople… Tony Cliff nous propose le premier épisode d’une série où l’humour se dispute la première place à l’action. Quant au dessin, il vise l’efficacité et touche juste. Un gros coup de coeur inattendu donc pour « Delilah Dirk & le Lieutenant Turc » (éd.Akileos)
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 

Au début de sa carrière, Michel Faure avait réalisé quelques albums autour des Rois Mages. Ici, avec « Jésus, Marie, Joseph« , il revisite ce qui s’est passé avant la Nativité et comment ces trois personnages se sont retrouvés à Nazareth. Il entame également son récit sur un postulat riche : et si le Seigneur, en même temps qu’il envoyait l’Ange Gabriel auprès de Marie, en envoyait un autre pour trouver le père de Jésus… Envoûtant, cet album unique possède un style unique et un cheminement fascinant (éd.Glénat)

 

Un Oeil sur le monde

S’il est indéniable que la Bande Dessinée permet évasion et divertissement, il est tout aussi vrai qu’elle permet un regard innovant sur le monde. A l’instar de la presse, du cinéma ou de la télévision, la BD apporte son langage, son rythme et sa narration au genre « documentaire et reportage ».

Ce mois-ci, par l’enquête, le témoignage ou à travers le prisme de la fiction, plusieurs albums se démarquent.

Adoptant la même technique que celle utilisée sur « Feuille de Chou » lors du tournage du film de J.Sfar consacré à Gainsbourg, Matthieu Sapin se penche sur le quotidien de »Libération« . Mois après mois, le dessinateur de « Supermurgeman » se mêle au quotidien des journalistes. Des comités de rédaction  aux réunions de presse en passant par les conférences élyséennes, c’est toute la vie et la passion de ceux qui relaient l’actualité 6 jours sur 7 qui transparaissent avec humour et vérité. (Journal d’un Journal, éd.Delcourt)

Deux albums se penchent sur la péninsule indochinoise. Le premier sous couvert de fiction, raconte toutes les difficultés rencontrées par les inspecteurs de l’ONU lors de l’organisation d’élections démocratiques au Cambodge en 1993. « Sur la Route de Banlung » rappelle sans concession la politique de terreur, pas si lointaine, des Khmers Rouges et la méfiance tenace, bien compréhensible, de la population. Mais également la position ambiguë des Occidentaux. Vink, desinateur du « Moine Fou« , couche avec efficacité les souvenirs de Jacques Rochel,  ancien observateur de l’ONU.

Le second, « Dans la Nuit, la Liberté nous Ecoute » nous plonge en plein coeur de la Guerre d’Indochine à travers le parcours d’Albert Clavier relaté dans ses mémoires. Ce dernier, après avoir subi les exactions de l’Occupant durant la 2nde Guerre, se trouve sous les drapeaux à défendre la Patrie et son « action civilisatrice ». Cependant, rapidement, son passé communiste, son engagement, ses idéaux, lui font voir la réalité d’une toute autre manière. La volonté d’émancipation des colonies  face à une métropole orgueilleuse et égoïste résonne en lui comme un écho des années d’oppression nazie. Aux yeux de l’Etat, il trahit donc la France pour se rallier aux Vietminhs et des troupes de l’Oncle Ho. Rude, sans fioriture, voire lapidaire, le récit d’A.Clavier semble suivre une logique implacable : il faut trahir sa nation  si l’on ne veut pas trahir ses idéaux, lorsque le gouvernement agit contre les fondements même du respect humain. Cependant, cette force en marche, liée à une certaine retenue, met de la distance avec le lecteur, nivèle également toutes les nuances possibles. Parfois un peu trop. Il n’en demeure pas moins que le dessin de Maxime Le Roy (qui n’est pas sans rappeler Squarzoni) attire par son économie de moyen et son efficacité. (éd.Le Lombard)

Ces deux ouvrages s’achèvent par deux dossiers mettant en relief histoire et politique, qui « instruisent » le lecteur, souvent loin de toutes ces considérations.

Résolument tourné vers la fiction pour mieux revenir à la réalité, « Triangle Rose » raconte les persécutions et l’extermination des homosexuels sous l’Allemagne Nazie. Si l’on connaît l’existence de l’étoile jaune et son port obligatoire pour la population juive, peu de nos contemporains ont en mémoire l’existence d’autres symboles de discrimination, souvent des allers simples pour les camps, (triangle rouge, vert, marron,…). A fortiori le Triangle Rose. Avec beaucoup de tact et de pudeur, Michel Dufranne montre la montée en puissance de l’oppression, de l’insouciance des premières années aux tortures puis aux déportations des heures les plus sombres. L’auteur pointe également  l’opprobre jetée à la communauté homosexuelle par les autres victimes de la cruauté nazie, encore étriquées par leurs principes moraux. Milorad Vicanovic apporte par son dessin réaliste un ancrage fort pour une histoire tout aussi forte. (éd.Soleil)

Allez ! Un peu plus de légèreté pour continuer avec trois récits pour les plus jeunes. Et notamment, le grand retour de Jules ! Cette fois-ci, il ne va rien faire de moins que sauver la planète d’une météorite. Mais attention, pas à la Bruce Willis, mais avec l’aide de ses amis extraterrestres. Ils ont cependant une condition : leur prouver que l’Humanité mérite de survivre ! Et avec un riche industriel, candidat à la présidence, qui veut forer sous la banquise pour trouver du pétrole, on ne peut pas dire que l’homme gagne des points ! Avec beaucoup d’humour et sans chichi, Emile Bravo aborde une nouvelle fois avec brio thématiques citoyennes, réflexions adolescentes et une grosse dose d’humour ! (éd.Dupuis)

Les Colombes du Roi Soleil, adaptation des romans d’Anne-Marie Desplats-Duc, nous propulse au XVIIème siècle dans le pensionnat  pour jeunes filles nobles désargeantées de Mme de Maintenon. Là, quatre adolescentes aux caractères et aux origines bien opposés, mais liées par une forte amitié vivent leurs années d’apprentissage avant leur libération, sans doute par le mariage… Lorsque Racine les sélectionne pour incarner les personnages de sa dernière pièce en l’honneur de Louis XIV, leur destinée va peut-être s’en trouver bouleversée ! Si l’on peut reprocher quelques redondances et facilités du scénario, une certaine naïveté dans les intentions des protagonistes, tous les ingrédients (secrets, romances, trahisons, amitié,…) sont là pour séduire les plus jeunes lectrices… et leurs parents ! (Roger Seiter, Mayalen Goust, éd.Flammarion)

 

Vous vous souvenez de Upside Down de G.Verbeck en 1903 qui pouvait se lire de haut en bas et inversement ? Hé bien, Steven Dupré a tenté une expérience approchante. A ceci près que l’auteur de Kaamelott a choisi de narrer deux histoires à chacune des extrêmités de son ouvrage. D’un côté, un extraterrestre débrouillard et délinquant qui s’écrase sur Terre découvre des humains. De l’autre, un viking et un enfant errant vont tomber nez à nez avec un extraterrestre ! Pas mal d’humour et d’action pour un défi étonnant. (Midgard, éd.Casterman)

 

Pour finir, double actualité pour Tony Sandoval avec « Doom Boy » en auteur complet et « Les Echos Invisibles » avec Grazia La Padula. Deux albums graphiquement très aboutis aux ambiance poétiques et oniriques, un peu « lynchiennes » sur les bords (de David Lynch, bien sûr, pas la mutation entre un lynx et une chienne…). Si vous ne devez en lire qu’un seul, je vous conseille Doom Boy dans le même univers que Nocturno. Cet album fait appel avec beaucoup de doigté à l’absence, le deuil et le mystère. Très bien. (éd.Paquet)

Sinon, j’ai vraiment aimé « L’Astrolabe de Glace » mais vous en avez déjà beaucoup à lire, non ? (Blengino, Palma, éd.Delcourt)

 

De belles images pour enfants (presque) sages

Qu’il est agréable de voir fleurir de jolis recueils d’illustrations sur notre beau meuble du fond ! Et il y a de tout , du talent foisonnant à la pelle.

Romain vous a déjà  parlé de Magnitude 9 et de ses hommages graphiques aux victimes japonaises. Ankama met un point d’honneur a éditer de beaux objets, de beaux art-books. Ici pour la bonne cause, bien souvent, pour le simple plaisir des yeux.

C’est le cas avec « La Dynamo », affublée par son auteur des étiquettes suivantes « bandes dessinées et fratras cérébral » ou « catalogue paradoxal« . La Grenouille Noire, autre nom d’Igor-Alban Chevalier, nous propose effectivement une bonne grosse dose d’un peu de tout, des croquis, de la BD, des illustrations, des petits bonus. Comme les « Hey » parus chez le même éditeur (eux aussi en format à l’italienne), les « Dynamos » vise une parution régulière et un éclectisme assumé. Sauf que là, ce ne sera que les oeuvres de La Grenouille Noire.

Autre ouvrage, autre ambiance, même éditeur, « Xa Color » rassemble les différents travaux et illustrations de Xa, principal designer de Dofus et Wakfu. A travers les différents chapitres consacrés aux deux séries phares d’Ankama (déclinées en jeu vidéo, série TV, papier,…), on suit en définitive le parcours tant de l’auteur que de la maison d’édition multibranding.

Je suis très content de vous présenter le dernier ouvrage du très talentueux James Jean. Cover artist acclamé sur Fables, il dévoile dans cette monographie très justement baptisée « Rébus » ses peintures éclatantes, parfois un poil dérangeantes mais surtout envoûtantes. L’éditeur Huginn & Munnin joue sur la tentation pour un très bel objet à la présentation – tout en sobriété – soignée.

N’oublions pas le noir et blanc :  Yannick Corboz, Tanxx et Nicolas de Crécy ont jeté leur dévolu sur des petits formats, plus ou moins denses, mais tous avec une ambiance marquée. Pour les deux premiers (respectivement auteurs de « L’Assassin qu’elle mérite » et « Esthétique et filature« ), c’est aux éditions Charrette qu’ils ont jeter l’encre(!) avec des oeuvres éponymes. Pour de Crécy, les éditions Barbier et Maton publient ses oeuvres sous le titre « 500 Dessins« .

De biens belles images pour nos jolies têtes blondes…