Réaliser une fresque riche et réaliste d’un monde post-cataclysmique en sf est un exercice périlleux. L’excès de menaces, nucléaires, bactériologiques ou autres, peuvent ridiculiser un projet, de même que la situation de survie de la population peut s’avérer irréaliste : comment se débrouiller au quotidien ? La réponse n’est pas si aisée.
Deux récits, pourtant, me tiennent à coeur, parmi ceux produits dans la fin des années 70 début des années 80 : le cycle d’Armalite 16 de Michel Crespin et Simon du Fleuve de Claude Auclair. Chacun à leur manière a plongé le monde dans le chaos puis l’a ramené à ses valeurs premières. Le premier en partant du postulat que la guerre (première ou seconde qu’importe) ne s’est jamais arrêtée. Pour le second, la catastrophe initiale est plus floue mais la civilisation telle qu’on l’a connue n’est plus. Mais en définitive, pour les habitants de l’un ou de l’autre, c’est le retour à la terre, à des communautés à échelle humaine et le souvenir d’une modernité qui les a menés à leur perte. Il n’est pas étonnant de voir pour Michel Crespin comme pour Claude Auclair, que l’inspiration de l’écrivain Jean Giono a été manifeste, que l’antimilitarisme et l’utopie de l’époque transpirent de ces planches, atypiques dans les pages de Métal Hurlant (pour Armalite 16) comme dans celles du Journal de Tintin (pour Simon du Fleuve).
Dans leur démarche de remise en avant de leur patrimoine, les éditions du Lombard rééditent après de longues années d’indisponibilité les aventures de « Simon du Fleuve« , fable SF humaine et humaniste. Un long dossier présente l’auteur et son oeuvre, tout en remettant celle-ci dans le contexte de l’époque. Pour le lecteur d’aujourd’hui, Simon du Fleuve souffre de la narration de son temps, un rythme lent, avec des envolées littéraires qui ne portent plus. Malgré tout, l’histoire est là prenante et lancinante, le dessin également. Il ne reste plus qu’à rééditer « Bran Ruz » et là ce sera parfait !
« Le Cas Alan Turing » se penche avec talent sur la vie du mathématicien anglais, père de l’informatique moderne. Eric Liberge au dessin et Arnaud Delalande au scénario rappellent bien évidemment son rôle décisif dans le décryptage des messages allemands d’Enigma. Mais pas uniquement : son enfance, son homosexualité, son rapport aux chiffres et sa place dans la société puritaine britannique, tous ces éléments sont évoqués rapidement certes mais efficacement. Le dossier qui vient clore l’album rappelle que cet ouvrage paraît aux Arènes, éditeur du magazine de reportages XXI qui souhaite renforcer sa place en BD. Turing est un personnage très étonnant véritable génie en décalage avec son temps, un biopic cinématographique lui a été dédié il y a quelques mois. J’aimerai juste qu’un jour, quelqu’un me raconte la vie, les convictions, … du créateur d’Enigma dont, malheur aux vaincus, le béotien ne sait rien . Avis aux auteurs…
Pour finir, le troisième et dernier tome de « La Guerre des Amants » de Jack Manini et Olivier Mangin se penche sur les Monument Men, soldats chargés de rassembler les œuvres d’art volées par le Reich et dispersés aux quatre coins de l’Europe. Ainsi se clôt le destin des artistes engagés Natalia la Russe et Walter l’Américain, après un amour dévorant et une passion tout aussi puissante pour l’Art. Si vous n’avez pas encore découvert cette saga parue aux éditions Glénat qui vous plongera dans le Bauhaus ou le constructivisme, avec des dossier particulièrement exhaustif, je vous engage à corriger rapidement cette erreur !