Dans l'ombre de Charonne, Une métamorphose Iranienne, Furari, Kililana song, L'homme qui n'existait pas, Nobrow

Préfacé par Benjamin Stora, Dans l’ombre de Charonne, de Désirée et Alain Frappier, est le premier ouvrage des éditions Mauconduit, et pour une première, ils frappent fort, comme les CRS dans l’histoire abordée dans l’ouvrage.

Ceci est le témoignage d’une femme qui se trouvait dans la bouche du métro Charonne à Paris lors des événements en marge de la Guerre d’Algérie. Toujours d’actualité, car également longtemps passée sous silence, c’est toujours un sujet qui nous fait découvrir une part de l’histoire récente de notre civilisation et qui nous touche particulièrement.

Bien qu’elle n’ait jamais voulu aborder le sujet tout au long de sa vie, c’est sur un lit d’hôpital que notre narratrice s’est confiée. N’y voyez pas là une confession honteuse (quoique, mais je vais y venir), mais un partage d’une expérience encore vive dans son esprit.

Pourquoi pourrait-elle se sentir honteuse ? Peut-être parce que les médias ont relayé l’information de telle manière à l’époque, ainsi que les organismes gouvernementaux, que personne ne prennait au sérieux les témoignages de ceux qui s’y trouvaient, surtout lorsque l’on est encore une adolescente sensée être à la maison plutôt que dans la rue.

L’album présente un trombinoscope des victimes, des extraits des journaux de l’époque, un tract du syndicat des travailleurs de chez Renault… que ce soit sur le fond comme sur la forme, c’est un très bon bouquin.

Félicitations et Bon vent, Belle mer pour Mauconduit.

Restons dans le récit avec Mana Neyestani, l’auteur d’ Une métamorphose Iranienne aux éditions çà et là, son histoire s’est déroulée au cours des cinq dernières années, ce qui n’est pas pour rassurer. Dessinateur de presse en Iran, Mana s’était tourné vers les magazines jeunesses, pensant ainsi pouvoir continuer son métier loin des soucis politiques de son pays.

Imaginez-vous d’abord témoin, en direct dans les médias, d’émeutes rassemblant de plus en plus de monde, tout cela à cause d’une de vos parutions, d’un simple mot dans une bulle que vous veniez juste d’ajouter à tout le travail de votre carrière. Ce simple mot est accusé de stigmatiser une partie du peuple irannien, ce qui amène les autorités à votre porte et vous conduit en détention dans un centre réservé à ceux qui menacent la sécurité intérieure.

Voici le témoignage de Mana Neyestani, son emprisonnement, les interrogatoires. Un récit très intéressant.

Quand on tombe sur une perle, il ne faut pas la lâcher, et les éditions Casterman ont presque l’exclusivité sur les oeuvres de Jirô Taniguchi. Si ceux publiés dans la collection Sakka (sur un format plus standard pour du manga et dans le sens de lecture original) ont toujours un accueil mitigé de la part du public, la collection Ecritures propose encore un ouvrage pour un public curieux de la culture Japonaise et amateur de lenteur.

Furari, c’est l’errance d’un géomètre cartographe dans l’ancien Tokyo, le regard d’un homme chargé de figer cette ville à un moment donné de son histoire sur une carte, mais de préparer également son aspect de demain. Il prend ses mesures à chaque pas, et mesure les changements que son pays subit pas à pas. Les temps changent, les saisons se succèdent, c’est un personnage posé et délicat qui vous invite à le suivre et à observer.

Dans la lignée de L’homme qui marche, Le promeneur, Le gourmet solitaire. A savourer lentement.

Un album avec un très fort potentiel pour vous séduire: Kililana Song, de Benjamin Flao chez Futuropolis. C’est une première partie, certes il faudra attendre la suite, certes les éditeurs donnent toujours l’impression de jouer avec nos nerfs et nos portes-monnaie et encore certes l’histoire est tellement bien que vous allez amèrement regretter de ne pas savoir ce qui va arriver au petit Naim. C’est dans son univers que Benjamin Flao vous entraîne avec son dessin magnifique. Son trait donne vraiment l’épaisseur nécessaire à ce récit africain. Le jeune homme n’a de cesse de fuir son frère qui souhaite le voir filer droit à l’école, mais Naim préfère traîner dans les rues. Avec ses camarades, ils observent la vie de leur ville au rythme des visites des touristes ou bien de celui des consommateurs de Qat. Ses pas vont le mener à croiser un capitaine en mal d’armateur et bien dans la mouise, des ex-patriés français qui s’enlisent dans les stéréotypes, un vieillard détenteur d’un savoir ancestral qui aborde sereinement son ultime combat face au monde moderne représenté en l’occurence par des promotteurs immobiliers, et tant d’autres encore.

Un album magnifique qui fait l’unanimité parmi nous, des fresques somptueuses, un dépaysement assuré.

Toujours chez Futuropolis, L’homme qui n’existait pas de Cyril Bonin. Le même auteur nous avait proposé l’année dernière chez le même éditeur une somptueuse adaptation du roman de Marcel Aymé: La belle image. Le dessin collait superbement au texte simple et touchant avec une atmosphère sympathique de proximité avec le personnage principal.

Dès lors, voilà mon bémol, L’homme qui n’existait pas a le même charme graphique, le personnage qui perd toute tangibilité et visibilité n’a plus que le lecteur pour témoin. Son attention va se porter sur cette jeune actrice, étoile montante du cinéma français, qui ne va avoir de cesse de le rendre plus curieux encore. Tant de questionnements et tant de temps pour chercher les réponses.

Je ne le traite pas de « redite », seulement La belle image était peut-être encore trop frais dans ma mémoire pour lui trouver le charme qu’il mérite. Il faut reconnaître à Cyril Bonin que les transitions, les effets, le jeu sur la luminosité,  en font un récit qui a tout son sens sous la forme d’une bande dessinée.

Les éditions Nobrow sont de retour en librairie avec leurs ouvrages atypiques, que se soit par le fond comme par la forme mais aussi par le format.

30 cm de large pour 52 cm de haut, si c’était un schtroumpf, cela ferait un gros schtroumpf, mais ce n’en est pas un, ce sont les dimensions de Big Mother de Sam Vanallemeersch, le volume 2 vient de sortir.

C’est un patchwork monstrueux de personnages de notre société, les scènes se succèdent et s’emmêlent sur de grandes doubles pages ou bien sur ces 4 grandes cases qui occupent votre espace visuel.

Vous en avez pour de très longs moments d’attention à porter sur cet ouvrage, à vous de gérer votre vie sociale pendant ce temps.

Il n’a pas que de la couleur à foison, vous pouvez également admirer ses noirs & blancs, à vous de savoir si vous désirez entrer dans l’univers de l’auteur, son délire, son labyrinthe…

Il ne faut pas croire, on ne vous collera pas un examen surprise à la fin de votre lecture, le plus simple est d’accepter de s’immerger et de se poser la question après: « est-ce que j’en suis sorti indemne ».

Big Mother de Sam Vanallemeersch.

 

Restons dans les formats qui sont difficiles à caser sur nos étagères, voulez-vous.

Ne vous fiez pas aux apparences, sous ses airs discrets et ses 14 par 23.5 cm, il prend toute son assurance et se déploie de tous ses 138 cm, faites place à Chute et ascension de Micah Lidberg.

Pourquoi une bande dessinée qui prend des airs de frises chronologiques, parce que l’auteur nous offre une fresque de l’évolution de la vie sur terre.

Je rappelle que lorsque je dis que l’auteur « offre », ce n’est qu’une expression, il ne faut pas prendre au premier degré toutes les bétises que je peux dire à la minute.

Que dire si ce n’est que vous allez en prendre plein les mirettes, et dès que vous aurez fini un côté, vous le retournez et c’est reparti pour un tour. Nobrow est une maison d’édition anglaise que l’on est bien content de pouvoir trouver dans le réseau de distribution français.

Tout est dans le détail pour Dimanche de Jon McNaught, pas plus grand qu’un livre de poche. Si vous regardez attentivement l’image jointe, la couverture est remplie de maisons.

C’est une petite histoire de dimanche, de nonchalance, d’observation, de contemplation… et de télévision, y’en a qui ont du mal à s’en passer. Les nuages passent mollement au-dessus de la maison, les oiseaux migrent, le voisin fait du vélo…et se casse la gueule. On a quand même de la chance, il ne pleut pas.

Pour les amateurs de minutie à la Chris Ware, à la Swarte, imaginez un peu, ce mec est capable de vous mettre 26 cases de bande dessinée sur un espace de 11 cm par 17.

Ce genre de petit bouquin ne paye jamais de mine, on a l’impression qu’il ne s’y passe rien, et en fin de compte on y trouve plein de prouesses graphiques, de sensibilité et d’humour.

Que vous dire de plus si ce n’est qu’il est toujours bon de faire ce métier et de vous parler du travail des autres.

L’année dernière, j’ai peut-être poussé un peu trop fort les éditions ManoloSanctis, puisqu’elles sont sorties du réseau de la librairie. Alors si je dis vive Mauconduit et vive Nobrow, ce sera pas trop fort pour ne pas réveiller les voisins.