Espions, droïdes et vie virtuelle

diabolik2Ceux qui ont eu la chance de voir l’exposition consacrée à « Souvenirs de l’Empire de l’Atome » au festival des Utopiales se souviennent de l’impact visuel de cet album hors normes. Thierry Smolderen concoctait un scénario intrigant rendant un vibrant hommage à la SF de l’Age d’or superbement mis en scène par Alexandre Clérisse. Cette fois-ci dans « L’Été Diabolik » (éd.Dargaud), ce sont les romans d’espionnage qui sont mis à l’honneur. En pleine Guerre Froide, chacun peut être un communiste infiltré cherchant à nuire aux intérêts de la France et du monde libre. En cet été 1967, Alexandre profite des joies adolescentes de ses 15 ans, mais sa victoire apparemment anodine lors d’un match de tennis va avoir un effet domino inattendu, un été qu’il n’oubliera jamais.

diabolik1Dans une habile intrigue, solide et haletante, le scénariste de « Ghost Money » se joue de tous les poncifs du genre (espions mystérieux, agents doubles, assassinat de Kennedy, disparitions et courses poursuites) pour les faire apparaître avec un nouvel éclat, une fraîcheur jusque-là oubliée. Il est aidé en cela par la maestria graphique d’A.Clérisse qui en quelques couleurs saturées, en quelques formes géométriques plaquées nous fait remonter le temps.

Si vous ne l’avez pas encore compris, jetez-vous sur ce récit complet qui tient toutes ses promesses !

varievie1J’ai failli passer à côté ! Vraiment, cela aurait été dommage ! Vous savez comment c’est : on reçoit plus d’une soixantaine d’ouvrages par semaine. On s’impose alors des priorités de lecture entre ceux que l’on a envie de lire (parce qu’on sait que c’est bien, parce qu’on est curieux…) et ceux que l’on doit lire (parce qu’on va nous poser des questions, parce qu’il est hors normes, parce qu’il est attendu…). Et puis il y a tous les autres. Et souvent de vagues de nouveautés en vague de nouveautés, ces albums sont poussés vers le fond du magasin, jusqu’à l’oubli… et le retour à l’éditeur. « La Vraie Vie » de Thomas Cadène et Grégory Mardon (éd.Futuropolis) a failli connaître ce sort. Pourtant, la vie de Jean Libonnet, employé municipal, tout ce qu’il y a de plus banal dans une petite ville tout aussi classique, devient un récit précieux parce que même s’il est singulier, il est universel. Et l’apport de technologie n’y change rien. En effet, le personnage, d’abord célibataire, cherche des rapports humains à travers l’ensemble des outils mis à disposition par internet : chat, twitter, forums, facebook et j’en passe. Même si cette activité est chronophage, même s’il ne rencontre jamais les personnes avec lesquels il chatte, même si la superficialité des propos est parfois prégnante, il ne tente pas de mêler sa vie « IRL » à sa vie numérique, il s’épanouit avec les deux.

varievie2Thomas Cadène, déjà scénariste sur « Les Autres Gens » avec quelques punchlines bien placées – « T‘as grandi dans un bar, t’es bien placée pour savoir que l’humanité n’a pas attendu internet pour commenter de la merde. » brosse un portrait moderne, efficace. Grégory Mardon avec une narration et des images à la fois très explicites (ne lisez pas cet album dans le bus, vous allez avoir des regards de travers) et en même temps tout en sous-entendus renforce le propos. Touchant jsuqu’à la fin, je me suis fait happée par cette histoire que je vous recommande.

descender1Enfin, la méga grosse cerise sur le gâteau, le titre qui réjouit les cœurs : « Descender » (Jeff Lemire & Dustin Nguyen, éd.Urban) nous met une grosse claque ! Dans un futur où l’humanité et d’autres races extraterrestres forment une coalition interplanétaire, des robots géants (vraiment colossaux : de la taille d’une planète) attaquent et déciment des populations entières. On les appelle les Moissonneurs. Dix ans plus tard, chacun essaye de se remettre de ce grand cataclysme, mais dans les mentalités du plus grand nombre, les robots sont devenus l’ennemi et les robocides sont légions. Le Dr.Quon, éminent roboticien tombé dans la pauvreté, est appelé par les forces gouvernementales car après de nombreuses études, il s’avère que le programme informatique des Moissonneurs est similaire à celui d’une gamme de droïdes qu’il avait jadis conçue. Et le dernier modèle encore répertorié vient de donner signe de vie sur une lointaine planète minière…

descender2Lorgnant vers les grands maîtres du genre – I.Asimov, B.Aldiss, P.K.Dick… – Jeff Lemire s’affranchit de leur héritage pour installer ce complexe récit technophile dans un space opera dynamité. Les rebondissements sont multiples, l’action maîtrisée, les personnages charismatiques. Quant aux dessins aquarellés du dessinateur de « Little Gotham », il s’adapte parfaitement à cet univers foisonnant. Du lourd, du très très lourd (et à 10€ jusqu’au mois de juin !).