le manga: ce n’est pas "que" pour les enfants!

Comme vous aurez pu le constater, nous essayons d’avoir une certaine régularité dans nos chroniques, je dis bien « essayons », le but étant toujours de mettre en avant une petite sélection dans le flot incessant de nouveautés auquel nous sommes confrontés, soit pour vous tenir informés des titres que vous pourriez attendre, soit pour vous faire découvrir des albums ou des genres que vous pourriez ignorer.

Cela fait déjà bien longtemps que je ne relève même plus le nombre de fois où j’ai pu entendre que la bande dessinée n’apportait rien en terme de lecture (sans commentaires). Eh bien figurez-vous qu’une bonne partie du lectorat de bandes-dessinées porte le même jugement sur les comics et les mangas, je ne vais pas pour le coup vous faire un long discours sur le sujet, juste une petite sélection sur la diversité proposée, en l’occurence cette fois-ci, j’ai choisi le manga.

Commençons par du facile, avec le deuxième tome des rééditions de Au temps de botchan de Jiro Taniguchi et Natsuo Sekikawa.

C’était les éditions du Seuil qui nous avaient proposé la première publication de ces cinq volumes et pour le coup, cette fois c’est Casterman qui s’y colle.

Pour ceux qui ne connaissent pas Botchan, c’est le roman de Natsume Soseki, un des plus grands écrivains du patrimoine littéraire japonais, et Botchan est un symbole d’une période de grandes transformations culturelles et sociales au Japon qui s’ouvre à l’occident. L’auteur nous dépeint le portrait d’un jeune poète qui a réellement existé et qui l’a inspiré pour symboliser cette époque.

La bande dessinée ne s’arrête pas là, si les premier et dernier tomes s’attardent plus sur Soseki, le deuxième s’intéresse plus sur le fameux regard extérieur et le choc culturel orient-occident, le troisième sur le jeune poète et le quatrième sur la deuxième tentative de percée du socialisme au pays du soleil levant.

Vous avez également tout au long de l’oeuvre l’opportunité de croiser un grand nombre de figures emblématiques de la littérature japonaise, ce qui vous permet d’en apprendre beaucoup sur une culture qui a pris beaucoup d’empleur et une place conséquente d’un point de vue mondial mais qui reste stéréotypée dans l’image véhiculée par chez nous.

L’approche graphique de Taniguchi en fait encore une fois, une oeuvre très agréable à lire et à relire.

Voilà pour le côté « grand-public », « et maintenant quelque chose de complètement différent » (une accolade chaleureuse offerte à celle ou celui capable de me dire d’où je sors une expression pareille).

Cela ne faisait que cinq petites années que ceux qui suivent la série l’attendaient en publication française, voici venu le vingtième tome de Coq de Combat de Akio Tanaka, chez Delcourt. Et pour l’occasion, l’éditeur réédite enfin la série avec les deux premiers tomes à l’occasion de la nouveauté.

Ce manga est destiné à un public averti (voilà, c’est fait !), effectivement il est légèrement, voire franchement violent, mais il n’est vraiment pas dénué d’intérêt. Le saviez-vous, au Japon, on ne montre jamais d’images d’un tueur dans les médias, et bien l jeune Ryô Narushima déroge à cette règle. Il vient d’un milieu aisé, fréquente la plus haute école de son pays et peut prétendre à de belles opportunités de carrière, seulement cet adolescent vient de tuer sauvagement ses parents à coups de couteaux . Il va donc être conduit en centre de correction pour mineurs, et si sa majorité lui permettra de reprendre sa liberté, les deux années à venir lui promettent deux années d’enfer.

Entre les brimades de ses petits camarades et son statut très particulier qui lui donne droit à une considération très singulière du personnel encadrant, comment ce jeune homme chétif va-t-il bien pouvoir surmonter cette terrible épreuve ?

C’est le directeur qui va l’aider, alors que son intention était toute autre, en le mettant entre les mains d’un détenu adulte qui vient régulièrement donner des cours de karaté aux adolescents. Il va leur enseigner le perfectionnement du geste, du corps, de la volonté… ce qui va changer la donne pour Ryô et l’amènera par la suite à voyager et connaître l’univers des combats clandestins. Comme dans FightClub, il ne faut pas y voir l’apologie de la violence (c’est bien plus profond, tu comprends !?).

Un bel exemple de diversité, un seul auteur, une seule thèmatique, deux approches pour Masakazu Katsura d’histoires de héros bien kitchouille ou bien sombre. Wingman Vs Zetman.

Les éditions Tonkam font paraître à l’occasion de la sortie du tome 16 de Zetman, la première série de l’auteur qui date de 1983, tout l’intérêt se trouve dans le fait que l’un des personnages de Zetman s’inspire de Wingman pour devenir le sauveur de l’humanité (S’il y avait eu plus d’images et de petites culottes dans la Bible, il aurait peut-être priviligiée celle-ci?).

Wingman, c’est le nom du personnage que s’est inventé Kento Hirono, jeune collégien qui joue les héros en culottes-courtes (décidément, on y revient), mais de simple trublion de classe, la rencontre avec cette princesse, Aoi, d’une autre dimension et surtout de son cahier des rêves, le voilà propulsé héros en herbe.

Le-dit cahier a ceci de particulier, que ce que l’on y note devient réalité, du coup un rapide croquis permet à Kento de revêtir sa panoplie, seulement petit oubli de sa part, il faut également préciser les pouvoirs que l’on souhaite avoir sinon on est juste bon pour défiler au prochain carnaval. C’est donc un douloureux apprentissage pour notre jeune héros et les situations compromettantes dans les bras de la princesse ne vont pas faciliter sa relation avec Miku, une camarade de classe qui semble avoir le beguin pour lui.

 En ce qui concerne Zetman, ce n’est plus le même public, combats, monstres, moralités douteuses (tout pour me plaire), voici la version adulte du jeune personnage qui se voit la possibilité de devenir héros. La façon de traiter le thème également, d’un côté le personnage principal, Jin, a grandi dans la rue et son grand coeur le pousse à parfois jouer les justiciers et parfois de façons très spectaculaires. Mais si « Papy », l’homme qui s’occupe de lui tente de le dissuader de se faire remarquer, c’est parce que Jin est lié à l’apparition de ces « Players », des humains qui se transforment en monstres ? ou bien des monstres qui se cachent parmi les humains ? Leurs aggressions sont le moteur déclencheur pour le fils d’une richissime famille, inspiré par son héros d’enfance « Wingman », de consacrer l’argent et les ressources nécessaires pour faire fabriquer une armure dotée de pouvoirs extraordinaires. Et s’il a réfléchi aux problèmes que le Wingman d’origine avait pu avoir, il est confronté au même problème: ce n’est pas aussi facile que cela en a l’air. Deux personnages donc, qui vont devoir choisir un destin contraint ou volontaire, le tout sous couvert d’intrigues et de rebondissements.

And the last one: Fraction de Shintaro Kago chez Imho. C’est du Ero-Guro, entendez par là qu’il est rangé au fond de la librairie au rayon indépendant car cela n’est vraiment pas pour les enfants ! Quatre récits qui peuvent choquer tant visuellement que narrativement, on y voit des tripes, de la violence, du sexe mais ce n’est pas spécialement pour cela que je vous en parle. La première histoire, Fraction -qui donne son titre à l’album- est un petit chef-d’oeuvre de récit.

Deux histoires se chevauchent, celle d’un tueur en série, jeune homme que l’on découvre comme serveur dans un petit resto, et celle d’un auteur de manga, spécialiste du genre que vous tenez entre les mains, qui tente de persuader son éditrice d’accepter sa décision de changement de style. Le premier s’applique à sa tâche, mais va voir un copieur bousculer sa méticulosité. Le deuxième se sert des faits-divers et de la littérature de genre pour commencer à imager ses propos et destabiliser son lecteur, car la narration imagée implique l’on peut jouer avec le texte mais également avec les plans de construction. Tout un programme.

Bon dieu que cela fait du bien de se faire avoir par un narrateur aussi doué, en tout cas sur une bonne partie de l’histoire, je reconnais mettre fait avoir, par contre je n’ai guère apprécié son dénouement final ou alors, après réflexion, peut-être joue-t-il encore avec le lecteur.

Voici mon petit tour de la diversité nippone touchant à sa fin, je vous rappelle que rien de tout ceci n’est à prendre au sérieux et que je pense que l’on vous avait déjà démontré (humblement) toute la diversité que nous offre la Bande Dessinée quelle qu’elle soit.