Rares sont les albums où le langage, les dialogues, la matière littéraire font l’objet d’un travail méticuleux. Non pas que les scénaristes ou autres auteurs délaissent cet aspect de la création, mais dans leur souci d’efficacité, de vraisemblance ou de concision, ils sont contraints à de nombreuses concessions.
Parfois, au détour d’un album, se nichent le dialogue bien ciselé, la verve truculente, le bon mot bien placé. Quand l’auteur est bien inspiré, on touche à des moments de pure poésie. Le décalage avec le discours habituel peut apporter son lot d’élévation et/ou d’humour. Alain Ayroles, entre autres, s’est ainsi frotté à l’alexandrin dans « De cape et de croc » (éd.Delcourt).
Ici aussi, l’alexandrin est bien au centre du nouveau récit de Pascal Rabaté et Alain Kokor. Dans son titre, tout d’abord (« Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied« ), également dans le nom du personnage principal (le si bien nommé Alexandrin de Vanneville), mais avant tout dans les paroles de ce poète errant. Pas tout à fait vagabond, presque philosophe, assurément philanthrope, Alexandrin propose ses vers à qui sera suffisamment sensible pour les recevoir. Pour adoucir les vicissitudes de l’existence, il se fait un devoir de rimer et rythmer chacune de ses phrases. Tout y est, de la césure aux douze pieds ! Sa route va croiser celle de Kévin, jeune garçon en rupture de ban familial. Alexandrin va le prendre sous son aile, le faire rimailler et surtout lui proposer une autre existence où la poésie pourrait changer le cœur des hommes…
Quel plaisir de retrouver Alain Kokor et son talent d’ « émerveilleur » ! Quel joie de le voir s’associer avec Pascal Rabaté, l’artisan des petites joies. Leurs univers étaient faits pour se rencontrer, s’enrichir l’un l’autre. La poésie de l’un, la bonhomie de l’autre et le génie des deux permettent à cet album édité chez Futuropolis de se hausser très vite dans mes recommandations de la rentrée !
Un autre auteur que j’ai plaisir à retrouver en cette rentrée est Kenji Tsuruta. Auteur rare tant au Japon qu’en France, il m’avait émerveillé avec « Spirit of Wonder » il y a presque 20 ans puis avec « Forget-me-not » tous deux aux éditions Casterman. Depuis, plus grand chose à se mettre réellement sous la dent. Enfin, vient de paraître aux éditions Latitudes (émanation de Ki-oon) le premier tome de « L’Île errante« .
Mikura Amelia est pilote dans une compagnie de fret, assurant les liaisons aériennes entre les minuscules îles de la Mer du Japon. Avec son hydravion, elle sillonne mer et ciel pour apporter colis et courrier à tous ces habitants. Élevée par son grand-père qui a créée cette entreprise de transport, elle se retrouve désemparée à la mort de celui-ci. Elle décide toutefois de prendre les rênes de la société et d’habiter dans sa maison. Elle y retrouve ainsi un colis qui n’a pas été livrée pour une certaine Amelia. Cette dernière réside sur l’île d’Electriciteit. Or cette île n’existe pas…
Kenji Tsuruta nous plonge dans un récit où s’entremêlent fantastique et mélancolie, tout en silence et légèreté. Son trait n’a rien perdu de sa précision et il n’est pas avare de détails. Nous espérons que la suite ne se fera pas attendre. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Latitudes annoncent la sortie d’un récit complet du même auteur au premier semestre 2018 !
Bonne lecture.
Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied / A.Kokor & P.Rabaté / éd.Futuropolis
L’Île errante / K.Tsuruta / éd.Latitudes