Il existe différentes opportunités de s’évader; on peut le faire physiquement, je pense au milieu carcéral bien entendu, mais également de son quotidien, un besoin de s’éloigner de son univers professionnel ou de son milieu de vie, et il existe également l’évasion spirituelle, et les arts sont bien souvent propices à cette opportunité.
En voilà un qui risque déjà de finir en taule avec sa fâcheuse tendance à piquer des bouquins en librairie, c’est mal, mais chez lui c’en est presque maladif, mais aujourd’hui Daniel Brodin va passer un cap au-dessus. Nous sommes dans les années 50′ à Paris, le personnage principal du Voleur de livres de Alessandro Tota & Pierre Van Hove, aux éditions Futuropolis accompagne Nicole de l’université qui l’a convié au café Serbié, lieu de rencontre pour les auteurs qui ont fait les grandes heures du café de Flore, Sartre en tant d’autres. Il s’y déroule l’une de leur performance, un concours de poésie qui a débuté depuis la veille, ils ont toujours en quête de la création artistique à son paroxysme, dans l’esthétisme qui reste toujours loin du commun des mortels, car il ne faut pas croire, mais dans le milieu culturel, on a toujours un peu trop tendance à penser que les gens du peuple sont trop « cons » pour comprendre la démarche créatrice de l’artiste.
Et si la poésie devait naître pourtant de la rue, pour démontrer que la force brute des mots provienne de la condition des gens ordinaires, c’est à cette apostrophe que Daniel va se lever de sa chaise et « improviser » devant cette assemblée qui va être subjuguée par son texte. Mais voilà, le voleur de livre vole également dans la créativité d’autrui, et pour son malheur, quelqu’un parmi la foule n’est pas dupe, et connait lui aussi cet obscur ouvrage de poésie italienne, écrite par des aliénés et qui n’a jamais été traduite en français. Il ne va pas être dénoncé, son interlocuteur préférant s’amuser de ce que le nec plus ultra de l’intellect français, et parisien de surcroît, vient de se faire ballader (la faute d’orthographe est volontaire pour faire un jeu de mot avec le style poétique). Par la suite Daniel va croiser d’autres artistes, plus subversifs, qui désirent tout chambouler, anarchistes jusqu’au bout des ongles ? Peut-être pour certains, mais la rançon du succès de leur outrecuidance les amène parfois à se fondre dans le moule, à voir avec cet ersatz de Gérard Depardieu…
Gregory Mardon a réalisé il y à quelques années ce qui reste pour moi l’un des meilleurs récits médiévaux que j’ai eu l’occasion de lire en Bande Dessinée: Le fils de l’ogre aux éditions Futuropolis; il a d’autres albums dans sa musette mais le voici aujourd’hui, encore chez Futuropolis avec un récit fort en un seul volume, sans paroles qui se découpe en trois parties distinctes: L’échappée.
L’on y découvre un homme, un architecte, qui déambule dans notre société, accaparé par son travail et ses responsabilités, il déambule dans le rythme effréné de la vie au beau milieu de notre société de consommation. Les images se succèdent, se multiplient et se télescopent, et c’est par mégarde qu’il va perdre ses papiers et sa carte bancaire dans le caniveau: comment se retrouver hors jeu en une leçon.
Il décide de s’extirper de cette vie trépidante, sortir des sentiers battus et de la foule, ses pas le mènent vers la mer et il décide de prendre la mer à bord d’un navire qui va connaître une tempête dantesque.
Il va connaître un naufrage et s’échouer sur une plage déserte, surplombée par un pic escarpé.
A force de tentatives, il va pourtant parvenir à grimper et sortir de la nasse où il se retrouvait prisonnier, c’est ainsi qu’en changeant de contexte qu’il évolue que l’auteur change l’ambiance en changeant de couleur à son récit graphique. Comme je vous l’ai dit, il y a 3 parties distinctes, donc 3 ambiances et du coup un autre rebondissement dont je ne vous parlerai pas.
Une saison en Egypte de Claire Fauvel, aux éditions Casterman.
Nous sommes à Moscou en 1870, le 2 Mars plus précisément, et aujourd’hui c’est l’anniversaire de Sacha. A 33 ans, ce moscovite vit seul et est empli de morosité, il se dit poète mais n’a pas écrit grand chose, voire rien. Il sort de chez son médecin et le discours de ce dernier ne l’a pas rassuré, son tempérament anxiogène lui fait craindre le pire, mais ce n’est qu’une légère insuffisance pulmonaire qui lui donne actuellement quelques difficultés, son médecin lui préconise donc de se rendre quelques temps dans un lieu au climat plus chaud.
Ses pas le mènent vers la gare, et sur un coup de tête, il décide de prendre le premier train en partance vers la destination la plus éloignée, direction le Sud.
La prochaine destination est la Grèce, libre à lui d’en profiter pour prolonger vers l’Italie et de là, se rendre en Egypte.
Sur le bateau qui assure la traversée, il croise le chemin d’un jeune couple de français qui se rendent également au pays des pyramides et des pharaons, c’est ainsi que débute la relation entre Sacha Ivanovitch Andreiev et Alexandre & Catherine Payan.
Alexandre est peintre, et ce voyage est l’occasion pour lui de découvrir une nouvelle luminosité et de nouvelles inspirations pour ses tableaux. Le premier contact n’a pas été des plus enthousiaste, Sacha trouvant le jeune couple assez pédant, mais la singularité de son départ vers un pays dont il ignore tout va faire qu’il va garder le contact avec les français, et c’est ensemble qu’ils vont explorer les rues du Caire.
Sacha et Alexandre vont, à l’occasion d’une invitation du Cheikh Ahmed, faire la rencontre d’une danseuse qui va savoir les envoûter, AAAAAAHHHHHHHH les charmes de l’orient. Les deux hommes sont sous le charme et chacun ignore l’idylle de l’autre, ce n’est qu’à la disparition d’Asmala danseuse nomade qui vient de repartir vers sa tribu que Sacha apprend leur passion commune, qu’Alexandre est parti à sa suite laissant Catherine seule dans la ville, et qu’il décide de partir à leur recherche. Un récit initiatique, une aventure humaine et dépaysante.
Le sculpteur, de Scott McCloud aux éditions Rue de Sèvres. Une nouvelle fois, cette maisons d’éditions tape fort avec un nouveau grand nom à son catalogue (et ils nous réservent encore quelques surprises). Si vous ne connaissez pas Scott McCloud (non, il ne fait pas parti du clan McLeod), sachez que c’est un monsieur TRES important dans le milieu de la Bande Dessinée et qu’il a fait beaucoup pour en comprendre les codes, apprendre à la concevoir et à projeter ce média dans son évolution possible et la réflexion sur la portée de cet art… Je vous conseille ses 2 ouvrages disponibles aux éditions Delcourt Faire de la Bande Dessinée & L’art invisible.
Le sculpteur: David Smith est un jeune sculpteur, il a déjà fait ses preuves mais n’a pas eu la chance de percer dans le monde de l’art. Il a rencontré quelques galéristes, mais leur vision du monde de l’art n’est pas vraiment en accord avec sa perception, il a réussi à se les mettre à dos et a maintenant du mal à avoir confiance en lui et rebondir. C’est aujourd’hui son anniversaire, et il prend tranquillement un verre en compagnie de l’oncle de sa mère, s’épanchant sur sa situation actuelle et sur son manque d’inspiration créatrice.
C’est au cours de sa discussion qu’il se rend compte que son oncle, avec qui il discute dans un café devant tout le monde, est mort voici déjà plusieurs années… Tel Faust, son interlocuteur lui demande jusqu’où il est près à aller pour son art et lui propose un pacte afin de réaliser son rêve et être capable de créer: sa réponse ne se fait pas attendre, et sans surprise, il serait prêt à donner sa vie.
La particularité de son don ? c’est uniquement avec le contact de ses mains qu’il va être capable de remodeler la matière, il va s’évader dans la création, aller au plus profond de son être pour retranscrire, modeler sa sensibilité.
C’est un récit hors norme que Scott McCloud nous offre là, il n’y a pas d’autre mot, la narration est géniale, savamment dosée, il aborde le milieu artistique mais ne s’y appesantit pas, il effleure l’humanité et les failles de son personnage, une oeuvre magistrale, bon peut-être que j’exagère un peu, nous avons été tous 3 très sensibles à ce récit, il captivera un bon nombre de lecteurs mais il y aura toujours une part que cela ne touchera pas, mais il rentre lui aussi dans les incontournables.
Mon petit dernier, Les Ménines de Santiago Garcia & Javier Olivares aux éditions Futuropolis, cet album sort alors qu’une exposition vient de débuter au Grand Palais à Paris depuis le 25 Mars et qui durera jusqu’au 13 Juillet 2015.
Une oeuvre originale consacrée à un peintre considéré comme certainement le plus grand peintre par ses pairs, autour d’un tableau qui fut étudié et repris par les plus grand, Dali, Picasso (qui en réalisa 58 variations en 1957) et tant d’autres…
Vélasquez fut remarqué par son talent, inspiré par Michelangelo Merisi di Caravaggio, dit Le Caravage, élève de Herrera qui ne le cantonnait qu’ à des travaux de reprises, ce fut Rubens, Le maître de l’époque qui définit Vélasquez comme Le roi des peintres.
Ce récit est original, passant d’une époque à une autre, mêlant aussi bien l’histoire contemporaine de l’artiste, vue de son point de vue ou bien des témoignages, changeant parfois de style lorsque l’on s’attarde à l’approche des autres peintres qui découvrirent ou étudièrent ses oeuvres.
On y découvre la relation singulière qui l’unissait au roi d’Espagne, qui vouait un intérêt hors norme au travail du peintre.
Il ne faut pas s’attendre à un livre qui se veut didacticiel sur le monde de l’art, seulement son approche originale, graphique et narrative en surprendra plus d’un.