Que diriez-vous de quelques comics pour amener à la plage (ou ailleurs) juste avant la rentrée qui se profile dangereusement ? En voilà trois qui iront bien avec votre bronzage.
PLANETARY T.1 / Warren Ellis & John Cassaday / Editions Urban Comics
Avec « Le Marquis » de Guy Davis, « Planetary » est la série présente dans ma bibliothèque personnelle sous le plus grand nombre de déclinaisons, au gré des vicissitudes éditoriales : fascicules VO, TPB, éditions Soleil, Spark, Semic ou Panini. Pourquoi ? Parce que « Planetary » est une série extrêmement bien écrite et construite avec une lucidité scénaristique impressionnante par Warren Ellis. Quant à John Cassaday, alors jeune dessinateur, il donne le meilleur de lui-même sur ces planches.
Une organisation aussi mystérieuse que dotée de fonds financiers solides exhume les secrets hors du commun du monde. A sa tête se trouvent quatre individus pourvus de « superpouvoir » : Jakita Wagner fait preuve d’une endurance, d’une force et d’une vitesse accrues, Elijah Snow maîtrise les températures et est un enfant du siècle (nous reviendrons sur cette idée), le Batteur ressent le flux des informations et enfin le quatrième homme est mentionné mais on ne saura rien de lui au début de l’histoire.
L’intrigue démarre avec le recrutement d’Elijah Snow dont on devine un passé tumultueux et bien rempli. Il ne sait toutefois rien de cette organisation qui désire l’employer. A travers son regard, le lecteur va appréhender le quotidien de ces archéologues du surnaturel. « Archéologues » voilà une des forces de cette série : les personnages se positionnent en tant que chercheurs, enlevant une par une les strates de complots cachant le vrai visage du monde. Ce ne sont pas des troupes d’interventions, des justiciers pourfendeurs de torts. Non, ils viennent après les catastrophes et cherchent à les comprendre pour éviter que d’autres désastres ne surviennent. Bien sûr, arrivés à un certain point, l’adversité surgit et il faut alors intervenir, parfois avec violence.
Les qualités de cette série sont nombreuses. En premier lieu, bien qu’étant intégré à l’univers Wildstorm et notamment aux séries de comics « Stormwatch » et » Authority« , « Planetary » bénéficie d’un statut à part, voguant de manière autonome dans sa propre sphère d’influence. Bien sûr, des événements communs sont évoqués, des cross-overs sont organisés. Toutefois, le lecteur n’est pas oppressé par un univers cohérent dont il devrait avoir toutes les clés.
Ensuite, « Planetary » a été conçu en maxi-série, c’est-à-dire avec une fin déjà programmée et des éléments amenant au dénouement parsemés dans chaque épisode. En moins de 30 chapitres (deux albums), Warren Ellis crée une toile qui, de prime abord, semble composée d’épisodes autonomes. Puis petit à petit, les éléments se répondent, se coordonnent, se justifient les uns les autres. Et la fin est une vraie conclusion, avec son lot de révélations et de parts d’ombre.
Pour dérouler le reste des qualités scénaristiques, je dois évoquer Thomas Schatz. Ce critique de comics explique les différents états dans lequel l’industrie du comics a transité. Il parle notamment de l’âge baroque ou maniériste. Le comics revient à ses propres fondements, à sa propre mythologie pour la ré-exploiter dans des récits nouveaux, rendant hommage à ses prédécesseurs sans plagiat. Ce regard en arrière, dans des cas exceptionnels, magnifie la matière première principale en comics inoubliables. Dans cette catégorie, je pense notamment à « Astrocity » de Busiek et Anderson, « 1985 » de Millar et Edwards ou encore « Top 10 » de Moore et Ha.
Ici, Warren Ellis invoque les bases du comics : la littérature pulp, la pop culture, le « mauvais » genre. Il se joue de ses figures emblématiques : Doc Savage, Godzilla, la Justice League, les 4 Fantastics, Hulk, Sherlock Holmes… Ainsi, il crée une connivence avec le lecteur amateur du genre, l’emmène sur un territoire qu’il croit balisé. Puis, le surprend en réutilisant tout ça de manière inattendue. Ces Fantastics-là sont les parangons du mal et les rayons gamma n’ont causé que des drames.
Dans Stormwatch, Ellis avait intégré le concept d’enfant du siècle avec Jenny Spark. Il récidive avec Elijah Snow : tous deux sont nés le 1er janvier 1900 et mourront à la fin de ce siècle. Ils ont fortement influencé le cours du XX° et ont protégé la Terre de toutes menaces. De manière sous-jacente, le scénariste affirme que la littérature de genres a façonné notre époque, qu’elle l’a manipulée pour arriver à la culture d’aujourd’hui, numérique, moins mystérieuse mais tout aussi dangereuse. John Cassaday enfonce le clou : Hugo Pratt sert de modèle physique à Snow, alors que le Batteur est son autoportrait. La boucle est bouclée : le réel et le comics s’interpénètrent.
Parlons justement de Cassaday. Dessinateur peu connu à cette époque, son trait réaliste presque froid se trouve au diapason de l’histoire. Il ne montre que l’essentiel réduisant les décors à ce qui est significatif : vaisseau exubérant et détaillé, chambre d’hôpital à peine esquissé. Les tenues de ses personnages sont loin des uniformes de leurs homologues super-héroïques. Elles sont fonctionnelles ou élégantes, voire variées (!) mais surtout elles ancrent une fois de plus le récit dans le réel.
Chers lecteurs français, il vous est à présent possible de lire l’intégralité de cette formidable saga en deux tomes (le second sortira l’année prochaine) avec quelques cross-overs et hors-séries aux éditions Urban Comics.
EX MACHINA T.5 / Brian K. Vaughan & Tony Harris / Editions Urban Comics
Toujours chez le même éditeur, le dernier tome de « Ex Machina » vient enfin de sortir. Jusqu’ici inédite en France, la conclusion des aventures de Mitchell Hundred vaut son pesant de… boulons ! Brian Vaughan et Tony Harris nous ont tenu en haleine pendant cinq gros volumes, disséminant discrètement les éléments du grand final. Une apothéose !
Tiens, vous souvenez-vous que toute la série est basée sur un flashback, que Mitchell vous a annoncé comment la catastrophe s’était produite dès les toutes premières pages ? Hé bien voilà, on y est ! Tous les engrenages sont à présent assemblés.
Pour ceux qui auraient vraiment tout oublié, Mitchell Hundred a des super-pouvoirs. Suite à un accident avec un mécanisme venu d’ailleurs, cet ingénieur a la capacité de communiquer avec toutes les machines et de leur imposer sa volonté. Après une courte carrière comme justicier masqué, il se rend compte que pour rendre New-York meilleur, pour prendre le mal à la racine, il n’a pas fait le bon choix. Il brigue donc la mairie de New-York pour porter ses idéaux. Et obtient le mandat ! Dès lors, Mitchell va devoir gérer les problèmes de gestion d’une municipalité mais également les mystères qui entourent ses pouvoirs.
« Ex Machina » est une série rafraîchissante. Ses personnages sont authentiques avec leur dose d’humour, d’humeur, de convictions et de lâcheté. Ils nous renvoient à notre réel et notre actualité, que ce soient les questions de terrorisme, de racisme ou de géopolitique globale (Sarkozy, vraiment !?). Mais elle y apporte sa petite touche d’exotisme, son prisme déformant à travers les pouvoirs de Hundred et ce que cela implique comme bizarrerie ou danger.
Comme pour « Planetary », Vaughan insinue que le comics a de l’importance, qu’il forge une certaine forme d’héroïsme chez ceux qui sont suffisamment ouverts à cette littérature mais qui ont aussi suffisamment de recul pour en voir les applications dans le réel. Mitchell est fan de comics, il choisit donc dans un premier temps la voie du justicier masqué tout en observant son caractère vain et artificiel. La mise en abyme de Vaughan est totale et il se joue des codes du comics pour mieux nous surprendre.
La fin vous surprendra, peut-être moins que pour « Y le Dernier Homme ». Toutefois, la conclusion douce-amère ne fait que renforcer la faillibilité de l’être humain. Le pouvoir corrompt, qu’il soit politique ou surnaturel. Il faut juste suffisamment de lucidité pour l’accepter. Telle pourrait être la morale de cette histoire.
Ah, oui et puis Tony Harris est un super dessinateur. C’est tout.
MANIFEST DESTINY T.1 / Chris Dingess & Matthew Roberts / Editions Delcourt
Pour ceux qui ont eu le courage de lire jusqu’ici, je leur conseille de jeter un coup d’oeil à « Manifest Destiny » de Chris Dingess et Matthew Roberts aux éditions Delcourt. Grâce à eux, j’ai enfin compris le jeu de mot d’un arc des X-Men qui portait le même nom. Car Manifest Destiny a une vraie signification que je vous laisse découvrir ici. Dans ce premier tome, un équipage composé de scientifiques, de militaires et de repris de justice doivent rejoindre un fort éloigné dans l’Ouest américain. De là pourront s’installer des colons qui porteront la bonne parole et la civilisation dans ces contrées perdues.
Et bien sûr, cela ne se passe pas comme prévu… Voilà un album divertissant, un brin horrifique et ancré dans une période historique (le tout début du 19ème américain) que je connais mal. Tout pour plaire !
Voilà c’est tout pour aujourd’hui.