Bon, cela fait combien de temps qu’on se connaît maintenant ? Cinq ans ? Six ans ? Presque douze pour certains si on cumule… Vous pouvez me faire confiance en tant que libraire, non ? Si je vous dis qu’un album est excellent, extraordinaire, touchant, toute incrédulité est à présent balayée et vous pouvez le prendre les yeux fermés. Non ?Je n’ai plus besoin de vous en vanter les mérites ou de mettre en avant ses qualités. On a dépassé les doutes, la méfiance, non ?
Alors, je dirai juste : faîtes moi confiance « C’est un oiseau » du scénariste Steven Seagle et du dessinateur Teddy Kristiansen (ah le Manoir aux Secrets ! ah Grendel ! ah Sandman !) aux éditions Urban est un excellent album. Je l’ai dit en 2010, je l’avais dit en 2004 et je le redis en 2016. Ouvrez-le, lisez-le.
Bon, c’est des coups à faire baisser ma côte de confiance si ça ne vous plaît pas mais j’assume !
Ah et puis dans un autre registre, jetez un coup d’oeil à « Chroniques de Nulle part » de Starsky, Rica et Tocco aux éditions Aaarg ! C’est également du lourd ! On en reparle à la librairie.
« Underwater« , « sous l’eau », une thématique humide avec deux ouvrages que j’ai trouvé très agréables, tant graphiquement que narrativement : Le maître des crocodiles de Stéphane Piatzszek & Jean-Denis Pendanx aux éditions Futropolis, et Underwater –Le village immergé– tome 1 de Yuki Urushibara aux éditions Latitudes.
Le maître des crocodiles, ce n’est pas la première collaboration pour Stéphane Piatzszek & Jean-Denis Pendanx qui avaient réalisé Tsunami, toujours chez Futuropolis, les deux auteurs sont d’ailleurs des habitués de la maison d’éditions.
Le scénariste, Piatzszek, sait raconter des histoires mettant en avant des destinées et un humanisme fort dans ses récits, et choisit régulièrement des collaborateurs au trait original, ici nous retrouvons Pendanx, qui peint de vrais chefs-d’oeuvre à chaque case, on lui d’ailleurs les somptueux Abdallahiet Jeronimusqu’il avait réalisé pour son acolyte Christophe Dabitch.
L’histoire va se dérouler en Indonésie, dans l’archipel des îles Banyak, et elle commence avec cet homme, Léo (Léonard), assis seul sur le sable, les yeux dans l’eau (ça y’est, j’ai réussi à vous mettre l’air dans la tête ?), sur cette plage désolée, on le découvre dans une scène symbolique où il se débarrasse de ses papiers, derniers vestiges de son attachement à la civilisation ?
Flashback: retournons 30 ans en arrière, Léo, sa femme Isabelle et leur ami Bernard, arrivent dans l’archipel afin d’y tourner un documentaire. La situation est tendue car à ce moment là des indépendantistes militent de façon armée, les militaires qui accueillent notre équipe en profitent même pour leur soutirer de l’argent contre leur protection. Le sujet de leur reportage sera également mal accueilli par les autochtones: Les habitants de l’île ont la particularité de pratiquer la pêche à l’explosif, et donc les reporters souhaitent montrer comment ils foutent en l’air leur écosystème, à plus grande échelle leur volonté est de dénoncer comment l’humanité détruit la planète et ses ressources.
Après négociations, ils peuvent s’implanter sur l’une des îles à proximité, mais peu de temps après, Isabelle va être victime d’une attaque de crocodile. L’animal est gigantesque et bénéficie d’une aura légendaire locale. Avec les villageois, une partie de chasse se met en place.
Dans la lignée du Kde Dino Buzzati, ou encore de Moby Dick, un récit haletant, qui vous réserve un certains nombre de surprises. Beaucoup d’émotions et sujets de réflexions en perspective, portés par un magnifique travail graphique, très lumineux et dépaysant.
Il est parfois vraiment difficile de vous pondre un nouvel article, notamment pour la période de fin d’année. Du coup cela fait bien cinq mois que je n’ai pas fait de mise en avant, et pourtant il y a de très belles histoires de parues, comme Le maitre des crocodiles de Stéphane Piatzsek (scrabble avec 3 lettres à 10 points plus mot compte triple) et Jean Denis Pendanx aux éditions Futuropolis, mais j’essaierai de vous en parler dans un prochain article.
Mais pour l’heure, laissez moi vous parler de GONde Masashi Tanaka, cet ovni était déjà paru il y a déjà bien longtemps en France, publié par Casterman, et après une longue absence, voilà que Pika l’a remis au goût du jour. Cette série est plutôt courte, et les deux premiers tomes sont disponibles. A savoir que certains pourraient se dire, « Tiens, mais je le connais celui-là… où c’est-y donc que j’ai pu le voir ? » GON était une guest star du jeu Tekken.
Mais qui donc est GON ?
C’est probablement le plus grand mystère de la nature, bien que GON soit un dinosaure, acceptez le fait qu’il puisse côtoyer des animaux qui nous sont contemporains, vous croiserez aussi bien un ptérodactyle qu’un lion ou un ti’ lapin. « L’absurde » est de rigueur, si GON n’hésitera pas à mettre une raclée à un ours ou un requin, on le retrouvera baby-sitter d’une portée d’oisillons, ou encore à vivre parmi les manchots.
Chaque volume regroupe plusieurs histoires courtes, on y retrouve des récits violents ou attachants, parfois même les deux, tous sont sans paroles mais, terriblement expressifs.
Pour ceux qui rechigneraient à vouloir lire du manga, Pika a eu la délicatesse de le publier dans le sens de lecture français. Si il y en a encore qui oseraient dire que les mangas, ce sont histoires mal dessinées, eh bien Masashi Tanaka va leur mettre une grande claque.
Voici un grand maître de la plume et du pinceau, un virtuose de la mise en scène. Il y a une force impressionnante qui se dégage de ses dessins et on en redemande encore et encore. GON va vous surprendre et saura vous attendrir, le dessinateur est tout aussi capable de le rendre mignon comme tout, que de vous faire comprendre que GON est très certainement l’arme ultime que dame nature a su créer pour se protéger… ou se suicider.
Ceux qui ont eu la chance de voir l’exposition consacrée à « Souvenirs de l’Empire de l’Atome » au festival des Utopiales se souviennent de l’impact visuel de cet album hors normes. Thierry Smolderen concoctait un scénario intrigant rendant un vibrant hommage à la SF de l’Age d’or superbement mis en scène par Alexandre Clérisse. Cette fois-ci dans « L’Été Diabolik » (éd.Dargaud), ce sont les romans d’espionnage qui sont mis à l’honneur. En pleine Guerre Froide, chacun peut être un communiste infiltré cherchant à nuire aux intérêts de la France et du monde libre. En cet été 1967, Alexandre profite des joies adolescentes de ses 15 ans, mais sa victoire apparemment anodine lors d’un match de tennis va avoir un effet domino inattendu, un été qu’il n’oubliera jamais.
Dans une habile intrigue, solide et haletante, le scénariste de « Ghost Money » se joue de tous les poncifs du genre (espions mystérieux, agents doubles, assassinat de Kennedy, disparitions et courses poursuites) pour les faire apparaître avec un nouvel éclat, une fraîcheur jusque-là oubliée. Il est aidé en cela par la maestria graphique d’A.Clérisse qui en quelques couleurs saturées, en quelques formes géométriques plaquées nous fait remonter le temps.
Si vous ne l’avez pas encore compris, jetez-vous sur ce récit complet qui tient toutes ses promesses !
J’ai failli passer à côté ! Vraiment, cela aurait été dommage ! Vous savez comment c’est : on reçoit plus d’une soixantaine d’ouvrages par semaine. On s’impose alors des priorités de lecture entre ceux que l’on a envie de lire (parce qu’on sait que c’est bien, parce qu’on est curieux…) et ceux que l’on doit lire (parce qu’on va nous poser des questions, parce qu’il est hors normes, parce qu’il est attendu…). Et puis il y a tous les autres. Et souvent de vagues de nouveautés en vague de nouveautés, ces albums sont poussés vers le fond du magasin, jusqu’à l’oubli… et le retour à l’éditeur. « La Vraie Vie » de Thomas Cadène et Grégory Mardon (éd.Futuropolis) a failli connaître ce sort. Pourtant, la vie de Jean Libonnet, employé municipal, tout ce qu’il y a de plus banal dans une petite ville tout aussi classique, devient un récit précieux parce que même s’il est singulier, il est universel. Et l’apport de technologie n’y change rien. En effet, le personnage, d’abord célibataire, cherche des rapports humains à travers l’ensemble des outils mis à disposition par internet : chat, twitter, forums, facebook et j’en passe. Même si cette activité est chronophage, même s’il ne rencontre jamais les personnes avec lesquels il chatte, même si la superficialité des propos est parfois prégnante, il ne tente pas de mêler sa vie « IRL » à sa vie numérique, il s’épanouit avec les deux.
Thomas Cadène, déjà scénariste sur « Les Autres Gens » avec quelques punchlines bien placées – « T‘as grandi dans un bar, t’es bien placée pour savoir que l’humanité n’a pas attendu internet pour commenter de la merde. » brosse un portrait moderne, efficace. Grégory Mardon avec une narration et des images à la fois très explicites (ne lisez pas cet album dans le bus, vous allez avoir des regards de travers) et en même temps tout en sous-entendus renforce le propos. Touchant jsuqu’à la fin, je me suis fait happée par cette histoire que je vous recommande.
Enfin, la méga grosse cerise sur le gâteau, le titre qui réjouit les cœurs : « Descender » (Jeff Lemire & Dustin Nguyen, éd.Urban) nous met une grosse claque ! Dans un futur où l’humanité et d’autres races extraterrestres forment une coalition interplanétaire, des robots géants (vraiment colossaux : de la taille d’une planète) attaquent et déciment des populations entières. On les appelle les Moissonneurs. Dix ans plus tard, chacun essaye de se remettre de ce grand cataclysme, mais dans les mentalités du plus grand nombre, les robots sont devenus l’ennemi et les robocides sont légions. Le Dr.Quon, éminent roboticien tombé dans la pauvreté, est appelé par les forces gouvernementales car après de nombreuses études, il s’avère que le programme informatique des Moissonneurs est similaire à celui d’une gamme de droïdes qu’il avait jadis conçue. Et le dernier modèle encore répertorié vient de donner signe de vie sur une lointaine planète minière…
Lorgnant vers les grands maîtres du genre – I.Asimov, B.Aldiss, P.K.Dick… – Jeff Lemire s’affranchit de leur héritage pour installer ce complexe récit technophile dans un space opera dynamité. Les rebondissements sont multiples, l’action maîtrisée, les personnages charismatiques. Quant aux dessins aquarellés du dessinateur de « Little Gotham », il s’adapte parfaitement à cet univers foisonnant. Du lourd, du très très lourd (et à 10€ jusqu’au mois de juin !).
Nous n’allons pas épiloguer chaque année sur les choix du jury du festival d’Angoulême, tout le monde en parle régulièrement. Il suffit juste de dire que cette année encore la sélection est très pointue. De qualité mais pointue, difficile à mettre entre les mains de votre mamie du Périgord qui lit une bd par an. Bref, le débat n’est pas là.
Dans cet article et ceux qui vont suivre, je vais revenir sur certains ouvrages de cette sélection et plus particulièrement ceux que j’ai lus, afin que vous puissiez avoir un premier avis pour vous forger votre propre opinion.
Concernant la jeunesse, la sélection a de quoi aussi satisfaire les lecteurs les plus exigeants. Et je ne suis pas loin du 100 % de lecture !
La maison d’édition Joie de Lire propose des ouvrages qui laissent une grande place à la recherche graphique et narrative, explorant des manières de raconter spécialement adaptées aux plus jeunes. Là où un adulte pourrait être rebuté par ces exercices de style, l’enfant pourra y puiser une bonne dose d’imaginaire. Dans Alcibiade (Rémi Farnos / éd.La Joie de Lire), l’auteur sur une matrice de 4 cases sur 5 qui ne variera pas tout au long de l’album nous offre un étrange voyage. Qui n’est pas sans rappeler Trois Chemins (Trondheim & Garcia / Delcourt) la mythologie en plus.
Présents dans notre sélection de Noël, les deux tomes de Dad (Nob / éd.Dupuis) renouent avec grâce, émotion et sensibilité avec les grands classiques d’humour pour la jeunesse. Acteur sans contrat, « Dad » s’occupe seul de ses quatre filles qu’il a eu de quatre mères différentes. Un peu maladroit, un peu dépassé mais extrêmement aimant, il fera tout pour être le meilleur père du monde (ou du quartier) pour ses quatre trésors aux caractères trempés bien que différents. L’auteur de Mamette brosse avec modernité et tendresse une cellule familiale finalement pas si atypique dans des gags à la planche plutôt bien sentis. Incontournable.
Adaptation d’un très célèbre roman pour la jeunesse outre-manche, Le Jardin de Minuit (Edith / éd.Soleil) plonge le lecteur entre rêverie et évocation de l’enfance. Alors qu’il doit résider chez son oncle et sa tante à la campagne en attendant la guérison de son frère, Tom va découvrir un mystérieux jardin qui ne devrait pas être là. Lorsque minuit sonne à la pendule du couloir, Tom va rejoindre une énigmatique jeune fille qui ne semble pas être de son temps. D’ailleurs, ce dernier s’écoule-t-il de la même manière dans le monde de Tom et celui de la jeune fille ? Leur lien sera-t-il suffisamment solide ? Tout en douceur, Edith nous évoque une Angleterre et une enfance intemporelle.
LA découverte de l’année ! A Silent Voice (Yoshitoki Oima / éd.Ki-Oon) s’attaque frontalement à des thématiques lourdes et sensibles sans se départir d’un humour efficace et d’une narration fluide. Shoya, jeune garçon turbulent, a pris pour cible Shoko, jeune fille sourde de sa classe de primaire et la harcèle sans cesse. Meneur de ces brimades, il est suivi activement ou tacitement par d’autres élèves, à tel point que, après un énième bris de ses appareils auditifs, Shoko quitte l’école. Toutefois, de meneur, Shoya devient lui aussi un paria… Arrivé en classe supérieure, les remords pèsent sur l’adolescent qui va essayer de retrouver son ancien souffre-douleur pour un ultime pardon. Mais en est-il suffisamment digne ? Les thèmes évoqués ici sont légions : le handicap, le harcèlement scolaire, le suicide, la quête de rédemption, les émois adolescents, l’ambiguïté des relations amicales et au-delà humaines … le tout avec une grande finesse et sans pathos dégoulinant. Le grand gagnant sans conteste.
Tempête au haras (Chriss Donner & Jeremie Moreau / éd.Rue de Sèvres) évoque le destin de Jean-Philippe, placé sous le signe du cheval. Issu d’une famille de jockeys et d’éleveurs de chevaux, il voit le jour en même temps qu’un poulain. Une grande complicité va s’établir entre le nouveau-né et le cheval. Tous voient en lui un futur grand champion. Malheureusement, une nuit de grande tempête, en tentant de l’aider, le cheval pris de panique lui brise la colonne vertébrale. Jean-Philippe ne pourra plus marcher ! Que va-t-il donc pouvoir faire ? J.Moreau déjà dessinateur du Singe de Hartlepool et de Max Winson (éd.Delcourt) confirme ici un talent indéniable.
Ulysse Wincoop (Marion Festraëts & Benjamin Bachelier / éd.Gallimard) raconte le destin d’un jeune indien né en pleine tuerie de sa tribu par les soldats américains. Un déserteur, après avoir abattu sa mère, le récupère pour le donner à son frère et son épouse, stériles. Les deux colons blancs vont l’élever somme leur propre fils, mentant sur ses origines. Mais suite à un drame et au retour du soldat, ses racines vont remonter à la surface. Va s’en suivre un long parcours pour découvrir la vérité et embrasser la totalité de son héritage. Coup de cœur estival, j’attends la suite avec impatience !
Pour son premier album en auteure complet, Marion Duclos invoque les esprits des grands maîtres pour Victor et Clint (éd.Boîte à Bulle). En premier lieu, évidemment Bill Watterson, car si aux yeux de tous Clint est un chien ordinaire pour Victor il est son compagnon de route pour le Far West le plus farouche, infesté de crotales et de desperados. Parfois, ils rencontrent un vieil homme dans la forêt qui pourrait leur dévoiler un grand secret… Rafraichissante, cette histoire n’est pas aussi légère que l’on pourrait le penser de prime abord…
Pour finir, Violette autour du monde (Teresa Radice & Stefano Turconi / éd.Dargaud) avait intégré également notre sélection de Noël. Joyeux et primesautiers, ces périples au début du 20ème siècle nous permettent de découvrir une famille de cirque soudée et haute en couleur mais également des contrées et des personnages historiques. En trois tomes, cette série a su s’imposer par la vivacité de son dessin et par l’intelligence de son scénario dans les séries jeunesse à suivre avec attention.
Penchons-nous du côté du patrimoine avec deux titres majeurs.
Père et fils – Vater und Sohn (Erich Ohser / éd.Warum) regroupe les différents strips humoristiques du dessinateur allemand Eric Ohser alias O.Plauen. Dans ceux-ci, on suit les frasques d’un père de famille respectable mais pas dénué de facéties et de son jeune fils tout aussi enclin aux bêtises. On pourrait s’en tenir là et on aurait des saynètes familiales sans prétention. Ce serait toutefois occulter tout le contexte de parution : la République de Weimar périclitant, le nazisme grandit et son idéologie s’impose partout. Bien qu’obligé de participer à la propagande par son dessin et ses œuvres, par petites touches, E.Ohser va faire acte de résistance dans ses strips à double lecture. Il sera déporté durant la guerre…
Enfin Simon du Fleuve (Claude Auclair / éd.Le Lombard) a fait l’objet de toute mon admiration dans l’article suivant. Je vous invite à vous y reporter.
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