Quelques femmes d’exception

Avant de plonger dans le maelström de la rentrée littéraire, je vais m’attarder sur trois titres sortis avant les vacances, chacun d’eux faisant la part belle à un personnage féminin.

Amer savoir celui qu’on tire du voyage…

port-des-marins-perdus-couverture_5631447Non, je ne vais évoquer ni Baudelaire, ni « Théodore Poussin » (dont j’attends pourtant avec impatience la sortie du prochain tome) mais de l’album « Le Port des Marins Perdus« . Publié aux éditions Treize Etrange, ce récit en un tome m’a tout bonnement captivé, enivré, transporté ! Un jeune garçon est retrouvé sur une plage lointaine du Siam par un capitaine anglais en 1807. Victime d’un naufrage, ce jeune homme ne se souvient plus de rien. Seule trace dans cette immense page blanche, son prénom Abel. Alors que les guerres napoléoniennes mettent les mers à feu et à sang, le capitaine va le prendre sous son aile et le ramener à Plymouth. Là, il va le confier à la famille de son ancien mentor et ami, un commandant prénommé lui aussi Abel. Malheureusement ce commandant est accusé de trahison et ses trois filles se retrouvent dans le plus grand dénuement. Cela ne les empêche pas d’accueillir comme il se doit ce jeune amnésique.

Teresa Radice et Stefano Turconi, déjà auteurs de l’excellente série jeunesse « Violette autour du monde » (éd.Dargaud), nous gratifient d’un « opéra graphique » (dixit l’introduction) long et poignant. Quatre actes témoignent d’un vibrant hommage à la littérature anglaise, à la mer insoumise, aux marins et leurs superstitions, à la poésie qui réveille l’âme également. Car si Abel est bien le protagoniste central, la figure, tout à la fois lumineuse et crépusculaire, qui se démarque est Rebecca. Tenancière d’une maison close, son parcours est sinueux tout comme ses aspirations  et les liens qu’elle tisse avec ses clients. Amoureuse de la littérature, elle va peu à peu ouvrir les yeux d’Abel. Quant aux trois filles qui le recueillent, elles sont loin d’être monolithiques. Face à l’opprobre qu’elles subissent depuis la trahison de leur père, chacune apporte candeur, fougue ou pondération au tumulte de leur nouvelle vie. Dans « Le Port des Marins Oubliés« , même si elles restent à terre les femmes sont les fanaux des hommes.

Les langues pernicieuses pourraient interroger le rendu graphique de l’album : « Il est joli le brouillon. Quand sort la version définitive encrée ? ». Toutefois, le choix d’un simple crayonné poussé participe à l’évanescence de l’intrigue, son mystère et sa fantasmagorie. Ces presque 300 pages se méritent, elles ne se laissent pas vaincre en une seule fois. On s’y prend, on s’y perd, on y revient. Mais la récompense est là.

A tel point que, à l’heure où j’écris ces lignes, l’album est épuisé. Il faut dire qu’entre autres Télérama et l’Express en avaient dit du bien. Mais une réimpression est prévue prochainement. Ne la manquez pas !

Sous les pavés, hasta siempre !

INSOUMISES_couvGF2J’attendais des éditions du Long Bec une oeuvre majeure qui marquerait leur catalogue, pas une réédition mais bien une nouveauté qui permettrait de braquer les feux de la curiosité. Je pense avoir enfin trouvé mon bonheur avec « Insoumises« .

Le scénariste Javier Cosnava et le dessinateur Rubén dépeignent un trio de femmes de la Guerre d’Espagne à mai 68 en passant par la 2nde Guerre Mondiale. Caridad, Fé et Esperenza se retrouvent malgré elles en première ligne de la lutte contre le franquisme. De ces épisodes sanglants, naîtra une amitié indéfectible, quels que soient les parcours individuels de ces trois femmes et les soubresauts de l’Histoire. Les auteurs, tout en ménageant des phases d’actions et de luttes, présentent un récit loin des intrigues convenues sur le féminisme. En effet, c’est bien à chaque fois la place de la Femme qui est convoquée à la table de l’Histoire. En premier lieu, c’est effectivement la rôle de la Femme dans la guerre qui est évoquée. Là où sont glorifiés les soldats et les hommes qui ont versé leur sang pour une cause ou une nation, Caridad, Fé et Esperenza rappellent que les femmes ont aussi pris les armes et sont tombées.  La place de la femme dans la société, que ce soit la France occupée des années 40 ou corsetée des années 60, est présentée sous un axe atypique. La femme face à sa propre sexualité et les interdits que l’homme lui imposent émaillent également le récit. Mais aucune de ces approches n’est didactique ou moralisatrice. Chacune des héroïnes fait des choix et des erreurs et participe à la lutte émancipatrice.

Voilà donc un album qui mérite toute votre attention !

Chère cousine…

talcJe ne sais comment l’expliquer mais les derniers albums de Marcello Quintanilha me font penser à des films. « Tungstène » m’évoquait « Chute Libre » et celui-ci n’échappe à la règle. « Talc de Verre  » paru aux éditions Çà et là me ramène à « Requiem for a dream » et plus particulièrement à la mère en attente d’un passage à la télé. Les thématiques sont différentes me direz-vous et vous auriez raison. Toutefois, le basculement dans une névrose et le message lancinant qui tourne en boucle sont présents dans les deux œuvres.

Rosangela a tout pour être heureuse. Elle a un métier épanouissant et très bien payé, un mari aimant et attentionné, des enfants formidables. Son niveau de vie lui permet d’obtenir tout ce qu’elle souhaite. Dans ce Brésil aux fractures sociales abyssales, elle est dans les sphères aisées. Toutefois, dans ce bonheur idyllique, un sentiment diffus émerge. Dans ce monde parfait, le souvenir de sa cousine, maltraitée par la vie, revient inlassablement. Cette cousine malgré tout digne et courageuse… Et dotée d’un sourire… et de cheveux… d’une telle beauté.

Et voilà à partir de ces éléments, l’auteur va créer une descente aux enfers, à la fois tellement invraisemblable et pourtant si crédible. En optant pour un narrateur omniscient s’adressant au lecteur, il crée les conditions à ce que cette folie ordinaire s’installe et ravage tout sur son passage. Vous trouverez sans doute cet album irritant. Vous le lirez en vous forçant ou avec une sorte de malaise. Quintanilha a tout fait pour. Et c’est cette dissection de ce syndrome qui rend l’ouvrage intéressant. C’est cette vue vertigineuse de l’intérieur qui lui donne sa saveur.

Alors, bien sûr, je ne trouve pas que la cousine soit bien dessinée, que son sourire soit sublime et ses cheveux parfait. Cependant, le décalage du dessin hyper réaliste (et parfois hyper lourd) participe également à l’épaisseur de cette tranche de vie.

A découvrir donc avec toutes les précautions d’usage : il ne plaira pas à tout le monde !