Sélection 2015 Angoulême [1/4]

Nous n’allons pas épiloguer chaque année sur les choix du jury du festival d’Angoulême, tout le monde en parle régulièrement. Il suffit juste de dire que cette année encore la sélection est très pointue. De qualité mais pointue, difficile à mettre entre les mains de votre mamie du Périgord qui lit une bd par an. Bref, le débat n’est pas là.

Dans cet article et ceux qui vont suivre, je vais revenir sur certains ouvrages de cette sélection et plus particulièrement ceux que j’ai lus, afin que vous puissiez avoir un premier avis pour vous forger votre propre opinion.

arabe t2 2 arabe t2 1La rigueur de l’alphabet nous fait démarrer avec le rouleur-compresseur de ces derniers mois, L’Arabe du Futur T.2 (Riad Sattouf / Ed.Allary). Cette autobiographie focalisée sur l’enfance de l’auteur dans le Moyen Orient des années 80 mérite ce succès commercial, sans aucun doute. L’humour grinçant parfois vitriolé à l’égard de ses parents et de sa famille se mêle discrètement à une forme de tendresse à leur égard. Cet album suscite également, au-delà de l’évocation d’une tranche de vie, la réflexion et la curiosité sur une période de l’histoire pas si lointaine que cela, mais dont on connaît (on vit ?) l’issue. Nous savons, lecteurs contemporains, que les idéaux et les espoirs soi-disant portés par ces hommes providentiels de Lybie ou de Syrie se sont fracassés contre la dictature. Pourtant, des gens tels que le père de Riad y voyaient un réel progrès… Nous attendons donc avec impatience les deux autres tomes de cette tétralogie qui, n’en doutons pas, seront tout aussi saisissants !

_CARNET DE SANTÉ FOIREUSE - C1C4 OK AUTEUR.inddCDSF_INT_cs6.inddCette autre autobiographie, Carnet de santé foireuse (Pozla / éd.Delcourt), faisait partie de notre sélection de Noël, révélant ainsi notre intérêt pour cet album. Avec ou sans jeu de mots, l’auteur de « Monkey Bizzness » met ses tripes sur la table pour nous parler de la maladie qui l’accable : la maladie de Crohn. Une affection de longue durée, très grave, qui attaque entre autre le système digestif. Entre les approximations de diagnostic (c’est psychosomatique !), les douleurs au quotidien, l’annonce de l’affection et l’urgence de la prise en charge, Pozla nous éclaire par le menu toutes les étapes de son calvaire et de sa guérison. Sans fausse pudeur et avec un certain réalisme, il impose une distance salutaire par une bonne couche d’humour et d’autodérision ainsi que par un style graphique adapté (entre le carnet de croquis, la caricature et le graff). Témoignage d’une maladie autant que d’un malade, cet album mérite aussi qu’on s’y attarde pour ses qualités narratives et graphiques.

catharsis 1catharsis 2Si le titre précédent ne cachait pas son approche catharsistique, la bd de Luz, Catharsis (éd.Futuropolis) l’affirme haut et fort. Paru après le drame qui a endeuillé la rédaction de Charlie Hebdo et la France entière, cet album est un concentré d’émotions pures. Des dures, des violentes, des amères, des tendres, des hilarantes… Beaucoup de clients, à sa sortie, nous demandaient notre avis. Que dire, si ce n’est que cette BD était nécessaire, indispensable ? Pour l’auteur surtout, pour les lecteurs, pour les victimes indirectes des événements aussi. On est au-delà des qualités de l’album lui-même : il charrie tant d’émotions, tant de puissance qu’il se suffit à lui-même, il avait juste besoin d’exister. Et d’être lu. Dont acte.

cherpays

Je ne m’attarde pas sur Cher Pays de notre enfance (Benoît Colombat & Etienne Davodeau / éd.Futuropolis)  j’en ai déjà vanté les mérite dans cet article.

fille plagefille plage2La Fille de la plage T.1 (Inio Asano / éd.Imho) dérange, déstabilise, trouble. Ce manga nous montre crûment et sans filtre l’adolescence, avec ses façades qui cachent autant qu’elles montrent, ses personnalités ambiguës en devenir et la découverte incontournable de la sexualité. Les propos tenus par les deux jeunes gens, la relation qu’ils entretiennent, les liens qui se tissent entre eux, fascinent le lecteur : on ne sait pas quoi en penser, entre attrait du voyeurisme et rejet de cette approche frontale. Et que dire du « cliffhanger » des dernières pages ? L’auteur du déjà très étonnant Bonne Nuit PunPun ne se départit pas de sa démarche originale et osée.

iciici2J’apprécie tous les travaux qui touchent de près ou de loin à l’OUBAPO et toutes les BD sous contraintes. Je suis donc curieux et attentifs lorsque paraissent des albums estampillés d’un concept fort. Et là, Richard McGuire comble mes attentes avec Ici (éd.Gallimard) ! Imaginez sur plus de 200 pages une histoire racontée par un plan fixe de valeur et de cadrage constants. Un pied de caméra qui ne bougerait pas. Voilà déjà une première prouesse qui rapprocherait peu ou prou des contraintes du théâtre. Mais l’auteur ne s’en tient pas là et s’astreint à changer de dates à chaque page tout d’abord mais également à l’intérieur des pages via des cadres délimités au fur et à mesure ! On pourrait craindre une simple performance narrative sans réelle consistance. Il n’en est rien et se déroule sous nos yeux une véritable intrigue, une vie humaine. Toutefois attention, il s’agit d’un album exigeant, une expérience de lecture pour les explorateurs endurcis… ou tout simplement ouverts ! Tout ceci n’est pas sans rappeler 3’’ de MA.Mathieu où une enquête policière sur un meurtre devait être résolu…

 

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Letter 44 (Charles Soule &  Alberto Albuquerque / éd.Glénat) a été récemment chroniqué par mes soins sur cette page, je n’y reviendrai donc pas.

mismarmismar2Miss Marvel ( G.W.Wilson & Adrian Alphona / éd.Panini) propose une histoire de superhéros dans la plus pure tradition de Marvel : la fraîcheur de l’adolescence et l’ancrage dans son temps, des ingrédients éprouvés avec bonheur dans les premiers Spider-Man. Ici, une jeune lycéenne musulmane, extra fan de la Vengeur Miss Marvel, se retrouve dotée de pouvoirs extraordinaires, héritage génétique des Inhumains. Que va-t-elle pouvoir en faire à présent ? Les auteurs osent, avec prudence certes, intégrer des thématiques modernes ou des combinaisons actuelles laissées jusqu’ici de côté : une jeune femme musulmane, des super pouvoirs, une famille traditionnaliste, le tout avec beaucoup de pep’s et d’humour. La scénariste G.Wilson, elle-même convertit à l’Islam, apporte sa propre expérience et son regard singulier sur l’univers Marvel avec justesse.

murdermurder2Même si j’ai préféré son précédent album, Cendres, j’ai néanmoins beaucoup apprécié Murderabilia (Alvaro Ortiz / éd.Rackham). Le personnage principal va parcourir des kilomètres pour vendre à un collectionneur deux simples chats. Simples ? Non, pas tout à fait et leur histoire va amener leur propriétaire en quête d’acquéreur dans un trou perdu de l’Amérique. Un bus raté et une tendance à l’oisiveté va l’entraîner à y rester quelques jours… Pour son plus grand malheur ! L’originalité, tant dans le postulat de départ que dans le déroulement de l’histoire, est ici aussi de mise. Alvaro Ortiz devient donc un auteur à surveiller !

nimonimo2Dans Nimona (Noelle Stevenson / éd.Dargaud), les cadres traditionnels de l’heroïc fantasy sont mis à mal pour notre plus grand bonheur ! Quand on est un grand méchant, diplômé des hautes études de la vilenie et que l’on honore les règles propres aux grands méchants, se retrouver affublé d’une apprentie qui ne respecte rien est une vraie calamité ! Surtout quand cette dernière est polymorphe… Avec humour et dynamisme, cet album se jouent des carcans habituels du genre, tant scénaristiques que graphiques. Rafraîchissant.

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